2q6 LETTRES DU ROI DE PRUSSE
1749.
LETTRE CL
DU RO I.
A Sans - sou ci, le 15 d’augufte.
I mes vers ont contribué à lepître que je viens
de recevoir ( 1 ), je les regarde comme mon plus bel
ouvrage. Quelqu’un qui assista à la lecture de cette
épître s’écria dans une espèce d’enthousiasme : Voltaire
et le maréJïal de Saxe ont le meme fort >• ils ont plus de
vigueur dans leur agonie que d'autres en pleine [ante.
Admirez cependant la dissérence qu’il y a entre
nous deux; vous m’asfurez que mes vers ont excité
votre verve , et les vôtres ent pensé me faire abjurer
la poésie. Je me trouve si ignorant dans votre langue,
et si scc d’imagination , que j’ai fait vœu de ne plus
écrire. iMais vous savez malheureusement ce que
sont les vœux des poëtes , les zéphyrs les emportent
sur leurs ailes, et notre souvenir s’envole avec eux.
Il faut être français et posséder vos talens pour
manier votre lyre. Je corrige, j’efsace; je lime mes
mauvais ouvrages pour les purifier de quantité de
fautes dont ils sont remplis. On dit que les joueurs
de luth accordent leur instrument la moitié de leur
vie , et en touchent l’autre. Je passe la mienne à
écrire , et sur - tout à essacer. Depuis que j’entrevois
quelque certitude à votre voyage, je redouble de
sévérité sur moi - même.
Soyez sar que je vous attends avec impatience,
charmé de trouver un Virgile qui veut bien me
( i) Voyez le Commentaire hifioriqne, page 149, Mél. littér. tome IL
1749.
LETTRE CL
DU RO I.
A Sans - sou ci, le 15 d’augufte.
I mes vers ont contribué à lepître que je viens
de recevoir ( 1 ), je les regarde comme mon plus bel
ouvrage. Quelqu’un qui assista à la lecture de cette
épître s’écria dans une espèce d’enthousiasme : Voltaire
et le maréJïal de Saxe ont le meme fort >• ils ont plus de
vigueur dans leur agonie que d'autres en pleine [ante.
Admirez cependant la dissérence qu’il y a entre
nous deux; vous m’asfurez que mes vers ont excité
votre verve , et les vôtres ent pensé me faire abjurer
la poésie. Je me trouve si ignorant dans votre langue,
et si scc d’imagination , que j’ai fait vœu de ne plus
écrire. iMais vous savez malheureusement ce que
sont les vœux des poëtes , les zéphyrs les emportent
sur leurs ailes, et notre souvenir s’envole avec eux.
Il faut être français et posséder vos talens pour
manier votre lyre. Je corrige, j’efsace; je lime mes
mauvais ouvrages pour les purifier de quantité de
fautes dont ils sont remplis. On dit que les joueurs
de luth accordent leur instrument la moitié de leur
vie , et en touchent l’autre. Je passe la mienne à
écrire , et sur - tout à essacer. Depuis que j’entrevois
quelque certitude à votre voyage, je redouble de
sévérité sur moi - même.
Soyez sar que je vous attends avec impatience,
charmé de trouver un Virgile qui veut bien me
( i) Voyez le Commentaire hifioriqne, page 149, Mél. littér. tome IL