PAYSANNE
PREMIERE PARTIE
(suite)
Quelques jours se passèrent. On travaillait beaucoup en
ce moment. Les paysans étaient toute la journée aux
champs, Jean Coulhard comme les autres; on n’avait
guère le temps de songer à la bagatelle. Cependant,
Etienne veillait. Lisette vaquait aux soins de sa basse-
cour; la belle robe était serrée, les cheveux rouges se
cachaient sous le petit bonnet : ce n’était plus qu’une ser-
vante de ferme. Elle ne chantait jamais maintenant, et
souvent le peintre voyait qu’elle avait pleuré. Elle l’évitait ;
il devinait qu’à la ferme on ne lui avait pas pardonné ses
petits succès du bal, et que le fils Coulhard se vengeait de
sa déconvenue en lui faisant la vie dure.
Un soir, en revenant du travail, Etienne vit tout un
petit rassemblement devant la ferme. Il s’arrêta et regarda.
La fermière, la face rouge, criait de gros mots en pous-
sant Lisette devant elle. Jean se tenait un peu de côté et
riait.
— Oui, tu vas partir, et de suite encore ! Une honnête
maison comme la nôtre n’est pas faite pour une fille per-
due comme toi. Allons, décampe, va trouver ton galant ! Et
justement le voilà ! Ah ! il te faut des messieurs à toi, eh
bien! nous allons voir ce qu’il fera d’une bonne amie
comme toi...
Lisette, rouge de honte, la tête baissée, se tenait sans
bouger, son paquet à la main.
— Qu’y a-t-il encore ? N’aurez-vous pas bientôt fini de
tourmenter une pauvre enfant dont le seul crime est
d’avoir voulu rester une honnête fille ? Votre fils, mère
Coulhard, qui ricane là-bas, a peut-être gardé le souvenir
de certaine correction administrée la nuit du bal. Il s’était
caché, comme un lâche qu’il est, pour tomber sur une fille
sans défense.
— J’avais compté sans son amant.
— Tu sais bien que tu dis une bêtise; je ne suis pas
l’amant de Lisette. Viens ici, petite; on te chasse, on ne
veut plus de toi, — grâce à ce braillard qui, évidemment,
n’a pas assez de sa première volée de coups, — viens avec
moi. Tu es une brave et honnête fille si tu es une paysanne ;
tu es jolie aussi, il n’en faut pas plus pour faire le bonheur
d’un homme. Voilà un an passé que je vis en paysan et je
m’en trouve bien. Je me trouverai bien aussi d’avoir une
paysanne comme femme ; car tu seras ma femme aux yeux
de tous, et nous verrons alors qui osera s’attaquer à toi.
Lisette laissa tomber son paquet et, joignant ses mains
comme elle faisait à l’église, elle se mit à genoux.
— Ah ! Monsieur, ne vous moquez pas de moi, j’en
aurais un trop gros chagrin.
Étienne alla vers l’enfant, la releva, la prit dans ses
bras et s’écria gaiement :
— Eh bien ! on ne vient pas féliciter les fiancés ?
Lorsque dans le pays on eut enfin compris que le
peintre allait vraiment épouser la Lisette des Coulhard, il
y eut un revirement complet. Étienne avait installé sa
fiancée chez de braves gens du pays; il lui faisait faire des
robes chez une vraie couturière et il avait loué une chau-
mière, juste en dehors du hameau, une chaumière qu’on
remettait à neuf. C’était donc vrai ? Lisette devenait une
personne importante, èt son ancienne maîtresse elle-même
i. Voir l’Art, i3° année, tome I", pages 125 et 143.
cherchait à se faire pardonner ce qu’elle appelait ses
« vivacités ».
Comment Étienne en était-il venu à une décision
pareille ? Évidemment il y avait eu, au dernier moment,
un peu de surprise ; la situation avait été brusquée. Mais,
depuis la nuit du bal, cette solution extravagante s’était
plus d’une fois présentée à son esprit.
Il avait rompu, définitivement rompu, il le croyait du
moins, avec la civilisation. Il avait trop souffert à Paris
pour désirer jamais y retourner. Sa haine, sa peur de
Paris étaient telles que, même pour vendre un tableau, il
Étienne alla vers l’enfant, la releva, la prit dans ses bras
et s’écria gaiement...
ne consentait pas à y aller ; il préférait se laisser exploiter
par des marchands qui traitaient par lettres. Depuis plus
d’un an, il ne lisait pas de journaux, ne voyait pas un
ami, évitait avec soin les rares visiteurs de ce coin perdu.
Le pays lui offrait tout ce qu’il demandait : un climat
tempéré, des bois où il pouvait marcher pendant des jour-
nées entières, des coins de paysage ravissants, de perpé-
tuels sujets d’étude.
Il s’était fait lentement, très lentement, une transfor-
mation dans son talent. A force de vivre au milieu de la
nature, de la voir à toutes les heures, sous tous les aspects,
à la humer pour ainsi dire, à se l’assimiler, à ne jamais
PREMIERE PARTIE
(suite)
Quelques jours se passèrent. On travaillait beaucoup en
ce moment. Les paysans étaient toute la journée aux
champs, Jean Coulhard comme les autres; on n’avait
guère le temps de songer à la bagatelle. Cependant,
Etienne veillait. Lisette vaquait aux soins de sa basse-
cour; la belle robe était serrée, les cheveux rouges se
cachaient sous le petit bonnet : ce n’était plus qu’une ser-
vante de ferme. Elle ne chantait jamais maintenant, et
souvent le peintre voyait qu’elle avait pleuré. Elle l’évitait ;
il devinait qu’à la ferme on ne lui avait pas pardonné ses
petits succès du bal, et que le fils Coulhard se vengeait de
sa déconvenue en lui faisant la vie dure.
Un soir, en revenant du travail, Etienne vit tout un
petit rassemblement devant la ferme. Il s’arrêta et regarda.
La fermière, la face rouge, criait de gros mots en pous-
sant Lisette devant elle. Jean se tenait un peu de côté et
riait.
— Oui, tu vas partir, et de suite encore ! Une honnête
maison comme la nôtre n’est pas faite pour une fille per-
due comme toi. Allons, décampe, va trouver ton galant ! Et
justement le voilà ! Ah ! il te faut des messieurs à toi, eh
bien! nous allons voir ce qu’il fera d’une bonne amie
comme toi...
Lisette, rouge de honte, la tête baissée, se tenait sans
bouger, son paquet à la main.
— Qu’y a-t-il encore ? N’aurez-vous pas bientôt fini de
tourmenter une pauvre enfant dont le seul crime est
d’avoir voulu rester une honnête fille ? Votre fils, mère
Coulhard, qui ricane là-bas, a peut-être gardé le souvenir
de certaine correction administrée la nuit du bal. Il s’était
caché, comme un lâche qu’il est, pour tomber sur une fille
sans défense.
— J’avais compté sans son amant.
— Tu sais bien que tu dis une bêtise; je ne suis pas
l’amant de Lisette. Viens ici, petite; on te chasse, on ne
veut plus de toi, — grâce à ce braillard qui, évidemment,
n’a pas assez de sa première volée de coups, — viens avec
moi. Tu es une brave et honnête fille si tu es une paysanne ;
tu es jolie aussi, il n’en faut pas plus pour faire le bonheur
d’un homme. Voilà un an passé que je vis en paysan et je
m’en trouve bien. Je me trouverai bien aussi d’avoir une
paysanne comme femme ; car tu seras ma femme aux yeux
de tous, et nous verrons alors qui osera s’attaquer à toi.
Lisette laissa tomber son paquet et, joignant ses mains
comme elle faisait à l’église, elle se mit à genoux.
— Ah ! Monsieur, ne vous moquez pas de moi, j’en
aurais un trop gros chagrin.
Étienne alla vers l’enfant, la releva, la prit dans ses
bras et s’écria gaiement :
— Eh bien ! on ne vient pas féliciter les fiancés ?
Lorsque dans le pays on eut enfin compris que le
peintre allait vraiment épouser la Lisette des Coulhard, il
y eut un revirement complet. Étienne avait installé sa
fiancée chez de braves gens du pays; il lui faisait faire des
robes chez une vraie couturière et il avait loué une chau-
mière, juste en dehors du hameau, une chaumière qu’on
remettait à neuf. C’était donc vrai ? Lisette devenait une
personne importante, èt son ancienne maîtresse elle-même
i. Voir l’Art, i3° année, tome I", pages 125 et 143.
cherchait à se faire pardonner ce qu’elle appelait ses
« vivacités ».
Comment Étienne en était-il venu à une décision
pareille ? Évidemment il y avait eu, au dernier moment,
un peu de surprise ; la situation avait été brusquée. Mais,
depuis la nuit du bal, cette solution extravagante s’était
plus d’une fois présentée à son esprit.
Il avait rompu, définitivement rompu, il le croyait du
moins, avec la civilisation. Il avait trop souffert à Paris
pour désirer jamais y retourner. Sa haine, sa peur de
Paris étaient telles que, même pour vendre un tableau, il
Étienne alla vers l’enfant, la releva, la prit dans ses bras
et s’écria gaiement...
ne consentait pas à y aller ; il préférait se laisser exploiter
par des marchands qui traitaient par lettres. Depuis plus
d’un an, il ne lisait pas de journaux, ne voyait pas un
ami, évitait avec soin les rares visiteurs de ce coin perdu.
Le pays lui offrait tout ce qu’il demandait : un climat
tempéré, des bois où il pouvait marcher pendant des jour-
nées entières, des coins de paysage ravissants, de perpé-
tuels sujets d’étude.
Il s’était fait lentement, très lentement, une transfor-
mation dans son talent. A force de vivre au milieu de la
nature, de la voir à toutes les heures, sous tous les aspects,
à la humer pour ainsi dire, à se l’assimiler, à ne jamais