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L’ART
français aux scènes reproduites et en expliquer la signification, le peintre-verrier a inscrit sur
chacun des panneaux un huitain en vers français tirés d’un volume publié à Paris en 1546, où
ils illustrent la série des gravures d’après Marc-Antoine, reproduites sur bois avec quelques
variantes aussi. Le poème est de Jean Maugoin, dit le petit Angevin. Les quatre panneaux repro-
duits dans notre premier article donnent une idée juste de l’effet obtenu, car il n’y a pas ici de
jeux de lumière autres que celui produit par le rayon du jour passant à travers un verre blanc
estampé de modelés brunis en grisaille. La Galerie, plus basse que toutes les autres, a été
construite en vue de l’appropriation de ces verrières ; elle en a donc commandé les dimensions et
la forme.
LE TRÉSOR
On appelle le Trésor une petite collection d’objets précieux renfermés dans des cabinets et
vitrines, dans la tour dite du Trésor, à l’extrémité de la Galerie de Psyché. Là non plus il n’y
a d’énumération complète à faire ; toutes les époques sont représentées sans parti pris, et on a
réuni tout ce qui exige un minutieux examen : des objets de main à examiner à la loupe, des
gemmes, des bijoux, des vases précieux, des boîtes, des camées, des mosaïques, des bronzes rares
de petite dimension, parmi lesquels un antique hors ligne de la plus belle époque de l’art grec,
la Minerve, dite de Pourtalès, parce qu'elle a fait partie de la célèbre collection de la rue
Tronchet, les petits marbres de Pompei, les mosaïques d’Herculanum, et les présents des princes
et pontifes.
Charles Yriarte.
(La fin prochainement.)
PAYSANNE'
(suite)
TROISIÈME PARTIE
son. Et cependant, Dieu sait si elle était bien oubliée, cette
enchanteresse !
On s’empressait autour de l’heureux peintre; on dévi-
sageait curieusement la « paysanne » dont, grâce à Mme du
Mont, l’histoire avait fait le tour de tous les salons. Un dan-
seur lui offrit gravement le bras, et Etienne, de son côté,
se laissa entraîner : les memes compliments, qui dans le
temps avaient sonné si délicieusement à ses oreilles novices,
se débitaient de nouveau, mais plus hyperboliques encore.
C’était une musique bien charmeuse. Comment avait-il pu
s’en passer pendant des années ?
Marcelle n’aimait pas la danse ; elle allait fort peu dans
le monde; elle n’avait pu, cependant, se dispenser d’assis-
ter au bal de sa sœur. Mais elle ne monta à batelier qu’un
peu tard. Elle avait vu entrer M. et Mme Larcher, et le
sourire satisfait avec lequel elle accueillit la jeune femme
rassura le mari. Lisette ne serait pas ridicule.
On dansait très gaiement dans le vaste atelier ; c’était
le moment où la petite gene des commencements de soirée
s’était dissipée au son de la musique entraînante, dans
l'excitation de la grande chaleur, des odeurs un peu capi-
teuses des fleurs. Marcelle s’arrêta sur le seuil un instant,
trouvant le coup d’œil fort joli. Elle se sentit regardée;
d’instinct elle se retourna et rencontra les yeux de Lisette.
Marcelle alla droit à elle, la voyant seule dans un coin,
l’air désolé. Toute la beauté de la villageoise avait disparu
avec ses fraîches couleurs et son expression d’enfant heu-
reux. C’était un pauvre petit objet lamentable, une épave
mondaine échouée piteusement dans un coin. Lisette n’ai-
Les du Mont connaissaient beaucoup de monde. La jeune
maîtresse de maison n’était jamais si heureuse que lorsque
les salons de son joli hôtel se trouvaient trop petits pour
la foule des invités. On dansait tout en haut, dans l’atelier
de Johann ; un atelier immense et superbe; mais les deux
étages de l’hôtel suffisaient à peine pour les sociétés très
diverses qui s’y coudoyaient. Le monde de la finance domi-
nait surtout; du Mont cultivait beaucoup les relations de
son beau-père; il y trouvait un profit réel, et, au fond, il
était plus à l’aise avec les hommes d’argent qu’avec les
artistes.
Etienne sentit que Lisette tremblait en entrant dans
ces salons éblouissants. Grâce au bon goût de sa grande
amie, Lisette ne se faisait remarquer par aucune excentri-
cité; elle était parfaitement habillée d’une robe blanche
très simple. Elle paraissait une toute jeune fille ; ne pos-
sédant pas de bijoux, elle avait énergiquement refusé de
porter ceux que M,ne du Mont lui aurait volontiers prêtés.
Il semblait à Etienne qu’il revivait le passé. Les mêmes
sensations qu’il avait ressenties pendant la courte saison
de sa folie le reprenaient ; il retrouvait la même griserie
qui lui venait des lumières, des fleurs, de la musique, du
bruit des voix, de la beauté des femmes en grande toilette.
Tous les artistes sont accessibles à cette espèce d’enivre-
ment ; lui, qui pendant des années avait vécu en solitaire,
en paysan, l’éprouva plus qu’un autre. Il s’attendait
presque à voir surgir, au milieu d’un groupe d’hommes,
la figure de l’enchanteresse qui lui avait fait perdre la rai-
1. Voir l’Art, i3" année, tome Ior, pages 125, 143, i65, i83 et 200.
L’ART
français aux scènes reproduites et en expliquer la signification, le peintre-verrier a inscrit sur
chacun des panneaux un huitain en vers français tirés d’un volume publié à Paris en 1546, où
ils illustrent la série des gravures d’après Marc-Antoine, reproduites sur bois avec quelques
variantes aussi. Le poème est de Jean Maugoin, dit le petit Angevin. Les quatre panneaux repro-
duits dans notre premier article donnent une idée juste de l’effet obtenu, car il n’y a pas ici de
jeux de lumière autres que celui produit par le rayon du jour passant à travers un verre blanc
estampé de modelés brunis en grisaille. La Galerie, plus basse que toutes les autres, a été
construite en vue de l’appropriation de ces verrières ; elle en a donc commandé les dimensions et
la forme.
LE TRÉSOR
On appelle le Trésor une petite collection d’objets précieux renfermés dans des cabinets et
vitrines, dans la tour dite du Trésor, à l’extrémité de la Galerie de Psyché. Là non plus il n’y
a d’énumération complète à faire ; toutes les époques sont représentées sans parti pris, et on a
réuni tout ce qui exige un minutieux examen : des objets de main à examiner à la loupe, des
gemmes, des bijoux, des vases précieux, des boîtes, des camées, des mosaïques, des bronzes rares
de petite dimension, parmi lesquels un antique hors ligne de la plus belle époque de l’art grec,
la Minerve, dite de Pourtalès, parce qu'elle a fait partie de la célèbre collection de la rue
Tronchet, les petits marbres de Pompei, les mosaïques d’Herculanum, et les présents des princes
et pontifes.
Charles Yriarte.
(La fin prochainement.)
PAYSANNE'
(suite)
TROISIÈME PARTIE
son. Et cependant, Dieu sait si elle était bien oubliée, cette
enchanteresse !
On s’empressait autour de l’heureux peintre; on dévi-
sageait curieusement la « paysanne » dont, grâce à Mme du
Mont, l’histoire avait fait le tour de tous les salons. Un dan-
seur lui offrit gravement le bras, et Etienne, de son côté,
se laissa entraîner : les memes compliments, qui dans le
temps avaient sonné si délicieusement à ses oreilles novices,
se débitaient de nouveau, mais plus hyperboliques encore.
C’était une musique bien charmeuse. Comment avait-il pu
s’en passer pendant des années ?
Marcelle n’aimait pas la danse ; elle allait fort peu dans
le monde; elle n’avait pu, cependant, se dispenser d’assis-
ter au bal de sa sœur. Mais elle ne monta à batelier qu’un
peu tard. Elle avait vu entrer M. et Mme Larcher, et le
sourire satisfait avec lequel elle accueillit la jeune femme
rassura le mari. Lisette ne serait pas ridicule.
On dansait très gaiement dans le vaste atelier ; c’était
le moment où la petite gene des commencements de soirée
s’était dissipée au son de la musique entraînante, dans
l'excitation de la grande chaleur, des odeurs un peu capi-
teuses des fleurs. Marcelle s’arrêta sur le seuil un instant,
trouvant le coup d’œil fort joli. Elle se sentit regardée;
d’instinct elle se retourna et rencontra les yeux de Lisette.
Marcelle alla droit à elle, la voyant seule dans un coin,
l’air désolé. Toute la beauté de la villageoise avait disparu
avec ses fraîches couleurs et son expression d’enfant heu-
reux. C’était un pauvre petit objet lamentable, une épave
mondaine échouée piteusement dans un coin. Lisette n’ai-
Les du Mont connaissaient beaucoup de monde. La jeune
maîtresse de maison n’était jamais si heureuse que lorsque
les salons de son joli hôtel se trouvaient trop petits pour
la foule des invités. On dansait tout en haut, dans l’atelier
de Johann ; un atelier immense et superbe; mais les deux
étages de l’hôtel suffisaient à peine pour les sociétés très
diverses qui s’y coudoyaient. Le monde de la finance domi-
nait surtout; du Mont cultivait beaucoup les relations de
son beau-père; il y trouvait un profit réel, et, au fond, il
était plus à l’aise avec les hommes d’argent qu’avec les
artistes.
Etienne sentit que Lisette tremblait en entrant dans
ces salons éblouissants. Grâce au bon goût de sa grande
amie, Lisette ne se faisait remarquer par aucune excentri-
cité; elle était parfaitement habillée d’une robe blanche
très simple. Elle paraissait une toute jeune fille ; ne pos-
sédant pas de bijoux, elle avait énergiquement refusé de
porter ceux que M,ne du Mont lui aurait volontiers prêtés.
Il semblait à Etienne qu’il revivait le passé. Les mêmes
sensations qu’il avait ressenties pendant la courte saison
de sa folie le reprenaient ; il retrouvait la même griserie
qui lui venait des lumières, des fleurs, de la musique, du
bruit des voix, de la beauté des femmes en grande toilette.
Tous les artistes sont accessibles à cette espèce d’enivre-
ment ; lui, qui pendant des années avait vécu en solitaire,
en paysan, l’éprouva plus qu’un autre. Il s’attendait
presque à voir surgir, au milieu d’un groupe d’hommes,
la figure de l’enchanteresse qui lui avait fait perdre la rai-
1. Voir l’Art, i3" année, tome Ior, pages 125, 143, i65, i83 et 200.