Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 35.1906)

ARTISTES CONTEMPORAINS

J.-J. HENNER

(premier article)

Comme homme et comme
artiste, la physionomie de
Henner est de celles qu’on
ne peut oublier. Pour mon
compte, ce n’est pas sans
émotion que j’écris son nom
en tête de cette étude ; je vou-
drais la dédier à sa mémoire
comme un pieux hommage.
Dans tout artiste, la connais-
sance de l’esprit permet de
pénétrer plus avant dans la
compréhension de l’œuvre.
Mais chez Henner on n’était
introduit dans son esprit qu’en passant par la porte du cœur. Il
ne l’ouvrait pas à-tout venant et il avait bien voulu faire un peu plus
que me l’entrc-bâiller. Cette bienveillance m’a été de toute façon très
précieuse et j’en garde un souvenir plein de gratitude. Elle m’a
permis de faire à mon profit la découverte d'un Henner qui n’était
pas absolument celui de la tradition. Il se réservait, en elfet, jalou-
sement et ne se livrait en entier qu’à ceux qu’il aimait. On peut
dire qu’alors il était tout transfiguré. On ne voyait guère de lui au
dehors qu’une figure assez énigmatique, à l’expression bonhomme
et narquoise à la fois, d’indifférence ou de défiance, dont on ne
savait jamais très bien si elle était sincère ou railleuse. Au milieu
d’un petit cercle d’amis, on était surpris de son animation, de son
enthousiasme resté juvénile, de sa verve batailleuse à laquelle