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L’ART.
parût tout désigné pour s’en charger lui-même. Mais son extrême délicatesse de sentiments s'y
opposait ; il ne voulait pas, précisément parce qu’il est des intimes, paraître tirer parti de l’amitié
qu’on lui témoigne, pour exercer une pression, si indirecte qu’elle pût être, en faveur d’un vieux
camarade tellement souffrant qu’il est forcé de
renoncer à tenir un pinceau, qu’il ne touche même
plus à un crayon.
I 1
Il est de ces femmes, créatures d’élite qui, ayant
connu les épreuves morales les plus douloureuses de
cette vie, ont ce privilège réparateur, lorsque les
années, et les chagrins qui les doublent, les couronnent
de cheveux blancs, de sentir naître en elles une
seconde jeunesse irrésistiblement attractive, bien qu’on
la sache étrangère à toute illusion. Ces femmes-là,
quel que soit leur âge, se font immédiatement respec-
tueusement aimer de quiconque a le cœur haut placé ;
elles exercent une royauté devant laquelle on est fier
de s’incliner, car elles régnent à jamais par le tact,
l’esprit, le goût, le charme souverains avec lesquels
elles se dévouent à semer le bien, en se dérobant
toujours et à l’admiration de ceux qui sont le mieux
à même de les juger à l’œuvre, et aux bénédictions
de tous ceux qu’elles s'empressent d’obliger.
Je ne connais point de femme à l’âme plus élevée, plus artiste que celle à laquelle j'avais à
m’adresser. Merveilleusement douée, elle puise dans les plus nobles sentiments une énergie qui
lui fait dominer toutes ses souffrances et chercher ses seules consolations dans sa passion
d’adoucir l’infortune et dans le bonheur qu’elle éprouve par-dessus tout à faciliter l’éclosion
d’œuvres de réel talent. Tout ce que je connaissais d’elle me disait
d’avance l’accueil dont j’allais être honoré. La vive sympathie que
devait lui inspirer un peintre aussi sincère que François Bonvin n'était
pas douteuse pour moi. Je fus prié de me rendre le jour même auprès
du malade ; une main amie lui était tendue avec une délicatesse
infinie; les préoccupations poignantes qui assaillaient ses vieux jours
et s’ajoutaient si durement aux infirmités physiques allaient désormais
être dissipées.
III
C'est à Saint-Germain-en-Laye que s’est retiré, depuis des
années, le brave homme qui réalise à un si haut degré
L’accord d’un beau talent et d’un beau caractère. Cioquis à la plume pai I îany-oib Bom in.
Il occupe, au second étage d’une grande vieille maison de la rue Trompette, un modeste
appartement tenu avec une propreté néerlandaise. La digne compagne qui dirige cet humble
intérieur veille avec la sollicitude la plus infatigable sur l’existence compromise qui lui est chère.
Véritable Antigone inconsciente de ses mérites, elle s’oublie sans cesse pour ne songer qu’au vieil
artiste dont l’affection reconnaissante suffit à la récompenser. Bonvin fait mieux encore que
l’aimer, il l’admire et la fait admirer en termes à la fois francs, simples, délicats, d’une pénétrante
éloquence qui va droit au cœur de celui qui l’écoute.
I
L’ART.
parût tout désigné pour s’en charger lui-même. Mais son extrême délicatesse de sentiments s'y
opposait ; il ne voulait pas, précisément parce qu’il est des intimes, paraître tirer parti de l’amitié
qu’on lui témoigne, pour exercer une pression, si indirecte qu’elle pût être, en faveur d’un vieux
camarade tellement souffrant qu’il est forcé de
renoncer à tenir un pinceau, qu’il ne touche même
plus à un crayon.
I 1
Il est de ces femmes, créatures d’élite qui, ayant
connu les épreuves morales les plus douloureuses de
cette vie, ont ce privilège réparateur, lorsque les
années, et les chagrins qui les doublent, les couronnent
de cheveux blancs, de sentir naître en elles une
seconde jeunesse irrésistiblement attractive, bien qu’on
la sache étrangère à toute illusion. Ces femmes-là,
quel que soit leur âge, se font immédiatement respec-
tueusement aimer de quiconque a le cœur haut placé ;
elles exercent une royauté devant laquelle on est fier
de s’incliner, car elles régnent à jamais par le tact,
l’esprit, le goût, le charme souverains avec lesquels
elles se dévouent à semer le bien, en se dérobant
toujours et à l’admiration de ceux qui sont le mieux
à même de les juger à l’œuvre, et aux bénédictions
de tous ceux qu’elles s'empressent d’obliger.
Je ne connais point de femme à l’âme plus élevée, plus artiste que celle à laquelle j'avais à
m’adresser. Merveilleusement douée, elle puise dans les plus nobles sentiments une énergie qui
lui fait dominer toutes ses souffrances et chercher ses seules consolations dans sa passion
d’adoucir l’infortune et dans le bonheur qu’elle éprouve par-dessus tout à faciliter l’éclosion
d’œuvres de réel talent. Tout ce que je connaissais d’elle me disait
d’avance l’accueil dont j’allais être honoré. La vive sympathie que
devait lui inspirer un peintre aussi sincère que François Bonvin n'était
pas douteuse pour moi. Je fus prié de me rendre le jour même auprès
du malade ; une main amie lui était tendue avec une délicatesse
infinie; les préoccupations poignantes qui assaillaient ses vieux jours
et s’ajoutaient si durement aux infirmités physiques allaient désormais
être dissipées.
III
C'est à Saint-Germain-en-Laye que s’est retiré, depuis des
années, le brave homme qui réalise à un si haut degré
L’accord d’un beau talent et d’un beau caractère. Cioquis à la plume pai I îany-oib Bom in.
Il occupe, au second étage d’une grande vieille maison de la rue Trompette, un modeste
appartement tenu avec une propreté néerlandaise. La digne compagne qui dirige cet humble
intérieur veille avec la sollicitude la plus infatigable sur l’existence compromise qui lui est chère.
Véritable Antigone inconsciente de ses mérites, elle s’oublie sans cesse pour ne songer qu’au vieil
artiste dont l’affection reconnaissante suffit à la récompenser. Bonvin fait mieux encore que
l’aimer, il l’admire et la fait admirer en termes à la fois francs, simples, délicats, d’une pénétrante
éloquence qui va droit au cœur de celui qui l’écoute.
I