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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 13.1887 (Teil 1)

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Mairet, Jeanne: Paysanne: première partie, [2]
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PAYSANNE

PREMIÈRE PARTIE

(suite)

La jeune fille semblait avoir oublié son gros chagrin et
ses inquiétudes pour l’avenir. Le fils Coulhard avait été
envoyé par son père traiter une affaire de bétail, et, le
fils étant absent, la mère tourmentait beaucoup moins la
petite servante. Comme Lisette ne semblait pas prendre à
cœur l’absence de son galant, comme au contraire elle
était bien plus gaie qu'auparavant, la fermière se rassura.

Et, de fait, Lisette n’aimait nullement Jean Coulhard. Elle
avait peur de lui, peur de sa galanterie brutale ; flattée tout
de même d’en être l’objet.

Enfin, le temps s’étant remis au beau, Etienne se décida
à commencer une étude d'après son petit modèle. Il fallait
profiter d’une heure bien fugitive, l’heure où le soleil, déjà
couché, laisse derrière lui une traînée de lumière chaude.
Lisette avait rougi de plaisir lorsque le peintre lui avait
donné rendez-vous. Alors il se dit que c’était vraiment
dommage que la pose cachât le visage. Jusqu’alors il n’avait
étudié en elle que sa chevelure fauve, que la grâce frêle de
son jeune corps si souple, à peine formé encore. Mais
devant l’épanouissement de l’enfant qui se voyait déjà
vêtue de sa robe neuve, Etienne remarqua qu’elle était
singulièrement jolie. Les traits n’étaient pourtant pas
fort réguliers, mais lorsqu’elle souriait, ses yeux bleus
avaient un éclat extraordinaire et ses dents très blanches
faisaient valoir ses lèvres un peu épaisses et d’un rouge
vif. Oui, décidément, c’était bien dommage!... Mais il se
promit de se servir de ce « type » ; de faire plusieurs études
d’après la jeune fille, puisque celle-ci ne demandait qu’à
poser.

Au coucher du soleil Etienne s’impatienta de ne pas
la voir venir ; chaque instant est si précieux lorsqu’on veut
attraper un « effet ! » Elle accourut enfin, essoufflée. Il avait
fallu aider la fermière au dernier moment dans la cuisine;
puis elle avait voulu aussi se faire belle pour sa première
séance.

Étienne faillit se mettre en colère ; puis, devant la
consternation de Lisette, il se décida à rire. Mais la séance
était manquée. Les beaux cheveux rouges, inondés d’une
huile quelconque, se plaquaient sagement et bêtement
contre le visage devenu tout banal, sous le bonnet trop
blanc. Sa maîtresse lui avait donné une casaque d’un bleu
affreux et, pour faire honneur à l’occasion, Lisette la por-
tait. C’était navrant et c’était comique. Et le peintre avait
si bonne envie de travailler ce soir-là !

— Je suis bien fâchée, je ne le ferai plus... balbutiait
Lisette, dont la lèvre tremblait comme celle d'un enfant
grondé.

— Mais je ne t’en veux pas, voyons, ne pleure donc
pas ! Je ne suis pourtant pas un ogre. Je vais tout de même
travailler, mais je n’ai pas besoin de toi. Va te coucher,
mon enfant, va! Tu te lèves avec le soleil, il est juste que
tu puisses te coucher lorsqu’il t’en donne l’exemple.

■— Laissez-moi rester un peu tout de même, monsieur.

C’est amusant de voir sortir les petits vers bleus ou blancs
ou noirs. Puis, si vous me renvoyez de suite, je croirai que
vous m’en voulez encore.

— Reste si tu veux. Mais ne me dérange pas, hein ?
Sapristi, le joli effet !...

i. Voir l’Art, i3' année, tome Ior, page 125.

Il se parlait à lui-même, car certes, Lisette était abso-
lument incapable d’apprécier un « joli effet ». Elle restait
bien tranquille, très sage, le regardant faire. Il était tout
changé lorsqu’il travaillait. Sa figure prenait une expres-
sion très curieuse, les yeux brillaient, les narines avaient
un frémissement, les joues se coloraient lorsqu’il regar-
dait les nuages encore rosés, les chaumières des paysans,
les bouquets d’arbres, la ferme... Tout d’un coup Lisette
se mit à rire, s’amusant d’une pensée qui lui était venue.

— Qu’est-ce que tu as donc à rire ainsi ?Tu te moques
de moi ?

— Ah ! monsieur, jamais je n’oserais me moquer de
vous ! Mais je pensais — mais vous m’avez dit de ne pas
parler...

— Va toujours. La langue te démange depuis long-
temps ; car tu es bavarde !... Je t’entends le matin lorsque
je suis encore couché ; tu appelles tes poules, tes canards,
tu leur donnes des noms, tu les grondes, tu leur racontes
tes petites affaires...

— Ils sont si drôles. Ils me comprennent, allez ! Ils
m’aiment aussi.

— C’est-à-dire qu’ils aiment les graines que tu leur
jettes. Mais tout cela ne me dit pas pourquoi tu riais !

— C’est que... vous regardiez tout ça — et d’un geste
elle indiqua le village endormi déjà, le ciel qui pâlissait, —
comme Jean Coulhard me regarde quand il veut me voler
un baiser.

— Jean Coulhard est amoureux de toi, et moi je suis
amoureux — mais amoureux fou — des nuages, des arbres,
des chaumières et de toi aussi par-dessus le marché,
lorsque tes cheveux rouges me donnent la note domi-
nante de mon tableau...

— Ah !... fit l’enfant, toute triste sans savoir pourquoi.

— Tiens, quel drôle de/c ah ! » Qu’est-ce qui te fâche?

— Je ne sais pas. C’est peut-être parce que je viens
après les nuages, après la chaumière là-bas, après le bout
de route et la grande croix en pierre...

Etienne la regarda tout étonné, et rencontra le regard
de la jeune fille. Il crut voir qu'elle avait des larmes aux
yeux.

— Ah ! ça, tu voudrais donc être aimée de tout le
monde ?

— Ah ! oui. Voyez-vous, monsieur, quand j’étais petite,
personne ne m’embrassait ; si j’étais morte à l’orphelinat,
personne n’aurait pleuré. Quand on n’a pas mangé depuis
longtemps, on se jette sur la miche, n’est-ce pas ? Moi, il
me semble que j’ai toujours eu faim et soif d’être aimée,
d’avoir une maman, des frères et des sœurs, comme tout
le monde ; seulement moi, je reste avec ma faim ; n’y a
pas de miche pour moi! C’est pas la mère Coulhard qui
m’ouvrira ses bras...

— Mais enfin le fils t’aime, lui. Tu viens de dire qu'il
te regardait comme je regarde les nuages et la terre ; qu’il
cherche à te voler des baisers... ne t’en laisse pas trop
prendre, crois-moi, Lisette.

— N’ayez pas peur, monsieur; il n’en a pas encore
volé un seul. Je suis solide, allez ! je tape fort. Je sais me
défendre, et d’autant plus facilement que je ne l’aime pas.
Il me fait peur quelquefois, mais je ne l’aime pas.
 
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