INTRODUCTION
A L’HISTOIRE
DES PEINTRES DE L’ÉCOLE ESPAGNOLE
our juger une Ecole étrangère, il faut d’abord se pénétrer de cette
idée, qu’il est bien difficile, sinon impossible, de réaliser en pein-
ture la beauté absolue. Sans doute l’art a son essence éternelle,
comme la source d’où il émane; il a ses exemplaires primitifs,
typiques, impérissables, qu’aucune image ne peut fixer, et dont
le génie de l’homme devine la beauté sans l’avoir jamais vue ;
mais, dans ses rapports avec l’humanité, l’art's’assujettit à toutes
les exigences du progrès, à toutes les variétés du temps et de l’espace. Le beau
résulte aussi de l’assemblage de certaines conditions qui varient, de l’obéissance
à certaines lois qui ne sont pas toujours et partout les mêmes. Or, la critique et
l’histoire ne peuvent s’occuper de l’art que dans la diversité de ses expressions
imparfaites ; ainsi tout ce qui tombe sous leur appréciation tire sa plus grande valeur
du respect des convenances locales, de l’observation vraie, spirituelle, profonde des mœurs
d’une époque, et de l’interprétation de la nature que l’artiste a eue devant les yeux.
De là, pour l’histoire comme pour la critique, la nécessité de connaître ces convenances,
cette nature, ces mœurs, afin d’y rappeler quiconque s’en écarte. Ainsi, de même qu’on
ne peut voir un tableau de trop loin ni de trop près, et qu’il faut se placer au point de vue
indiqué par la perspective, de même, pour l’apprécier, il faut choisir un point de vue
moral qui est nécessairement variable. Encore s’il y avait dans l’art une formule hors de
laquelle il n’y eût point de salut, s’il existait un principe d’autorité absolument infaillible
auquel on pût ramener tous les égarements, la critique deviendrait facile, car elle ne serait
plus qu’un tribunal armé d’une loi constante, immuable. Mais comment reconnaître l’unité
absolue de la règle, en présence d’un aussi grand nombre de chefs-d’œuvre dissemblables ?
Qui oserait traiter d’hérésies les doctrines qui se produisent sous l’enveloppe du génie?
Vous croyez avoir trouvé une règle sûre dans les modèles de la beauté antique; cette règle
même ne convient pas également à tous les temps et à tous les pays. Vous avez réduit en
principes sacrés les leçons de quelques grands maîtres, et il peut arriver que vos formules
1
A L’HISTOIRE
DES PEINTRES DE L’ÉCOLE ESPAGNOLE
our juger une Ecole étrangère, il faut d’abord se pénétrer de cette
idée, qu’il est bien difficile, sinon impossible, de réaliser en pein-
ture la beauté absolue. Sans doute l’art a son essence éternelle,
comme la source d’où il émane; il a ses exemplaires primitifs,
typiques, impérissables, qu’aucune image ne peut fixer, et dont
le génie de l’homme devine la beauté sans l’avoir jamais vue ;
mais, dans ses rapports avec l’humanité, l’art's’assujettit à toutes
les exigences du progrès, à toutes les variétés du temps et de l’espace. Le beau
résulte aussi de l’assemblage de certaines conditions qui varient, de l’obéissance
à certaines lois qui ne sont pas toujours et partout les mêmes. Or, la critique et
l’histoire ne peuvent s’occuper de l’art que dans la diversité de ses expressions
imparfaites ; ainsi tout ce qui tombe sous leur appréciation tire sa plus grande valeur
du respect des convenances locales, de l’observation vraie, spirituelle, profonde des mœurs
d’une époque, et de l’interprétation de la nature que l’artiste a eue devant les yeux.
De là, pour l’histoire comme pour la critique, la nécessité de connaître ces convenances,
cette nature, ces mœurs, afin d’y rappeler quiconque s’en écarte. Ainsi, de même qu’on
ne peut voir un tableau de trop loin ni de trop près, et qu’il faut se placer au point de vue
indiqué par la perspective, de même, pour l’apprécier, il faut choisir un point de vue
moral qui est nécessairement variable. Encore s’il y avait dans l’art une formule hors de
laquelle il n’y eût point de salut, s’il existait un principe d’autorité absolument infaillible
auquel on pût ramener tous les égarements, la critique deviendrait facile, car elle ne serait
plus qu’un tribunal armé d’une loi constante, immuable. Mais comment reconnaître l’unité
absolue de la règle, en présence d’un aussi grand nombre de chefs-d’œuvre dissemblables ?
Qui oserait traiter d’hérésies les doctrines qui se produisent sous l’enveloppe du génie?
Vous croyez avoir trouvé une règle sûre dans les modèles de la beauté antique; cette règle
même ne convient pas également à tous les temps et à tous les pays. Vous avez réduit en
principes sacrés les leçons de quelques grands maîtres, et il peut arriver que vos formules
1