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ÉCOLE ESPAGNOLE.
de Séville languissait : Moya lui révèle le coloris des Flamands : elle revit et se transforme. Murillo, enfin,
reçoit de Moya l’étincelle qui allume son génie, et l’École d’Andalousie voit surgir le grand maître qui sera
sa gloire et son expression suprême.
Pedro de Moya est né à Grenade en 1610. Son premier maître a été Juan del Castillo, dont il partageait les
leçons avec Alonzo Cano et Bartolomé Esteban Murillo. Castillo ne pouvait guère enseigner à ses élèves qu’un
dessin suffisamment correct, car son coloris, comme celui de la plupart des peintres sévillans d’alors, péchai!
par la froideur et par une sécheresse souvent extrême. Un beau jour, Moya disparut de l’atelier. D’un
caractère ardent, décidé, le jeune peintre avait tout à coup senti s’éveiller en lui la passion des voyages : elle
fut irrésistible. Manquant de ressources, il ne trouva rien de mieux, pour mettre son projet à exécution, que
de s’engager dans une compagnie qui partait pour les Flandres. Le mousquet sur l’épaule, paradant et
guerroyant, il parcourut les Pays-Bas. L’art l’attendait là. En présence des chefs-d’œuvre de l’École flamande,
il ressaisit tout de suite son pinceau. Ni les exercices, ni les fatigues, ni les devoirs obsédants de son métier
ne furent alors des obstacles pour le fougueux jeune homme. Libre un moment, il courait peindre. Les églises
étaient ses musées : sans cesse on l’y rencontrait copiant, dessinant, et c’est à cette gymnastique d’études
rapidement menées, qu’il dut d’acquérir cette prestesse de main, cette exécution précise, solide et facile qui
est une des supériorités de son talent.
Ces maîtres flamands, à la touche large et grasse, au coloris vivant et sain, l’eurent bientôt subjugué, el
peu à peu il arriva à se défaire des étroites et sèches pratiques du Castillo. En même temps son jugement
mûrissait et s’élevait, il pouvait déjà consulter son goût et choisir sa manière. Mais une dernière et toute-
puissante séduction devait encore s’exercer sur Moya. Le hasard voulut qu’il fût admis à examiner des
tableaux et des portraits que venait de terminer Van Dyck, alors dans toute la plénitude de son talent. Il
demanda et obtint la permission de copier ces peintures. L’esprit si fin, le caractère si distingué du dessin,
toute la grâce noble et aisée du peintre de Charles Ier pénétrèrent et ravirent Moya. Cette fois il n’était plus
besoin de chercher : le maître de son choix était trouvé. Dès lors, Moya n’eut plus qu’une pensée, qu’un
but : laisser là le métier des armes, passer en Angleterre et rejoindre Van Dyck. Avec sa vivacité ordinaire,
il eut bien vite réalisé son plan. Sans appui, sans autre recommandation que le noble mobile qui s’était
emparé de lui, Moya partit pour Londres et courut droit à la demeure du grand artiste. Van Dyck
l’accueillit parfaitement. La résolution, l’énergie du jeune Espagnol lui plurent; il le mit aussitôt à
l’œuvre, et, enchanté de l’intelligence de son enthousiaste admirateur, il lui ouvrit son atelier. Dirigé par un
maître qui lui témoignait une touchante sollicitude, prompt à saisir et à s’assimiler les qualités saillantes
d’un talent vers lequel il était d’ailleurs si naturellement entraîné, les progrès de Moya furent rapides.
La mort de Van Dyck vint les interrompre. Moya fut atterré de cette perte. Un plus long séjour à Londres
lui devenait insupportable. Il prit passage sur un navire, et, vers la fin de l’année 1641, quelques semaines
à peine après la mort de son maître, il débarquait à Séville.
Le vieux Pacheco tenait alors la tête de l’École. Plus érudit, plus professeur que peintre, les succès de
son gendre Velâzquez n’avaient pas peu contribué à lui donner une autorité que justifiaient moins ses mérites
personnels. Juan del Castillo et Boélas étaient morts. Le fougueux Herrera, ne pouvant souffrir d’élèves,
vivait absolument retiré. Alonzo Cano, à la suite d’un duel où il avait blessé grièvement son adversaire,
avait dû s’enfuir à Madrid pour y rechercher la protection de Velâzquez. Zurbaran s’était créé cette
originalité qu’on lui connaît, grandiose, sévère, ascétique : il avait peu d’élèves.— Enfin, Murillo, pauvre,
bien inconnu et s’ignorant encore soi-même, en était réduit pour vivre à peindre des pacotilles de
peintures qu’il vendait à la foire et qui s’expédiaient dans les Amériques espagnoles. Tel était, à Séville,
le personnel des maîtres lors de l’arrivée de Moya.
Moya fut bien vite entouré de quelques anciens camarades et de tout ce qui s’intéressait à la peinture.
On était curieux d’examiner cette manière nouvelle, déjuger ce coloriste splendide, ce Van Dyck qu’on
ne connaissait point encore à Séville. Murillo était là. La vue des études et des copies que Moya avait
exécutées d’après les grands Flamands, lui causa une sensation profonde. 11 s’aperçut bien vite qu’il
ÉCOLE ESPAGNOLE.
de Séville languissait : Moya lui révèle le coloris des Flamands : elle revit et se transforme. Murillo, enfin,
reçoit de Moya l’étincelle qui allume son génie, et l’École d’Andalousie voit surgir le grand maître qui sera
sa gloire et son expression suprême.
Pedro de Moya est né à Grenade en 1610. Son premier maître a été Juan del Castillo, dont il partageait les
leçons avec Alonzo Cano et Bartolomé Esteban Murillo. Castillo ne pouvait guère enseigner à ses élèves qu’un
dessin suffisamment correct, car son coloris, comme celui de la plupart des peintres sévillans d’alors, péchai!
par la froideur et par une sécheresse souvent extrême. Un beau jour, Moya disparut de l’atelier. D’un
caractère ardent, décidé, le jeune peintre avait tout à coup senti s’éveiller en lui la passion des voyages : elle
fut irrésistible. Manquant de ressources, il ne trouva rien de mieux, pour mettre son projet à exécution, que
de s’engager dans une compagnie qui partait pour les Flandres. Le mousquet sur l’épaule, paradant et
guerroyant, il parcourut les Pays-Bas. L’art l’attendait là. En présence des chefs-d’œuvre de l’École flamande,
il ressaisit tout de suite son pinceau. Ni les exercices, ni les fatigues, ni les devoirs obsédants de son métier
ne furent alors des obstacles pour le fougueux jeune homme. Libre un moment, il courait peindre. Les églises
étaient ses musées : sans cesse on l’y rencontrait copiant, dessinant, et c’est à cette gymnastique d’études
rapidement menées, qu’il dut d’acquérir cette prestesse de main, cette exécution précise, solide et facile qui
est une des supériorités de son talent.
Ces maîtres flamands, à la touche large et grasse, au coloris vivant et sain, l’eurent bientôt subjugué, el
peu à peu il arriva à se défaire des étroites et sèches pratiques du Castillo. En même temps son jugement
mûrissait et s’élevait, il pouvait déjà consulter son goût et choisir sa manière. Mais une dernière et toute-
puissante séduction devait encore s’exercer sur Moya. Le hasard voulut qu’il fût admis à examiner des
tableaux et des portraits que venait de terminer Van Dyck, alors dans toute la plénitude de son talent. Il
demanda et obtint la permission de copier ces peintures. L’esprit si fin, le caractère si distingué du dessin,
toute la grâce noble et aisée du peintre de Charles Ier pénétrèrent et ravirent Moya. Cette fois il n’était plus
besoin de chercher : le maître de son choix était trouvé. Dès lors, Moya n’eut plus qu’une pensée, qu’un
but : laisser là le métier des armes, passer en Angleterre et rejoindre Van Dyck. Avec sa vivacité ordinaire,
il eut bien vite réalisé son plan. Sans appui, sans autre recommandation que le noble mobile qui s’était
emparé de lui, Moya partit pour Londres et courut droit à la demeure du grand artiste. Van Dyck
l’accueillit parfaitement. La résolution, l’énergie du jeune Espagnol lui plurent; il le mit aussitôt à
l’œuvre, et, enchanté de l’intelligence de son enthousiaste admirateur, il lui ouvrit son atelier. Dirigé par un
maître qui lui témoignait une touchante sollicitude, prompt à saisir et à s’assimiler les qualités saillantes
d’un talent vers lequel il était d’ailleurs si naturellement entraîné, les progrès de Moya furent rapides.
La mort de Van Dyck vint les interrompre. Moya fut atterré de cette perte. Un plus long séjour à Londres
lui devenait insupportable. Il prit passage sur un navire, et, vers la fin de l’année 1641, quelques semaines
à peine après la mort de son maître, il débarquait à Séville.
Le vieux Pacheco tenait alors la tête de l’École. Plus érudit, plus professeur que peintre, les succès de
son gendre Velâzquez n’avaient pas peu contribué à lui donner une autorité que justifiaient moins ses mérites
personnels. Juan del Castillo et Boélas étaient morts. Le fougueux Herrera, ne pouvant souffrir d’élèves,
vivait absolument retiré. Alonzo Cano, à la suite d’un duel où il avait blessé grièvement son adversaire,
avait dû s’enfuir à Madrid pour y rechercher la protection de Velâzquez. Zurbaran s’était créé cette
originalité qu’on lui connaît, grandiose, sévère, ascétique : il avait peu d’élèves.— Enfin, Murillo, pauvre,
bien inconnu et s’ignorant encore soi-même, en était réduit pour vivre à peindre des pacotilles de
peintures qu’il vendait à la foire et qui s’expédiaient dans les Amériques espagnoles. Tel était, à Séville,
le personnel des maîtres lors de l’arrivée de Moya.
Moya fut bien vite entouré de quelques anciens camarades et de tout ce qui s’intéressait à la peinture.
On était curieux d’examiner cette manière nouvelle, déjuger ce coloriste splendide, ce Van Dyck qu’on
ne connaissait point encore à Séville. Murillo était là. La vue des études et des copies que Moya avait
exécutées d’après les grands Flamands, lui causa une sensation profonde. 11 s’aperçut bien vite qu’il