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ÉCOLE ESPAGNOLE.
Murillo s’efforçait de créer une Académie de dessin, et il y conviait tous les artistes : architectes, graveurs,
sculpteurs et peintres. Seuls, Herrera el Mozo et Valdès Leal opposèrent à ce projet des résistances dont
Murillo parvint cependant à triompher. Le 11 janvier 1660 l’Académie était ouverte, et Valdès en était nommé
le mayordomo. Le 1er novembre de la même année, Valdès donna sa démission, puis il accepta de rentrer dans
cette fonction, et s’en démit encore à la suite de difficultés dont son détestable caractère était l’incessante
origine. Le 25 novembre 1663, cédant à ses orgueilleuses prétentions, on lui confia enfin la présidence de
F Académie, et il la conserva jusqu’au 30 novembre 1666. Mais à cette époque, de nouvelles querelles avec
les autres membres en charge l’amenèrent à renoncer définitivement à faire partie de l’Académie.
Tous les biographes de Valdès s’accordent à lui reprocher ses jalouses et amères critiques à l’égard de
ses émules. Il voulait être le premier en tout et partout. Un éloge adressé devant lui à un autre artiste
l’irritait à l’égal d’une injure personnelle. Palomino, dans sa biographie de Valdès, rapporte une curieuse
anecdote qui fera mieux connaître quel chatouilleux amour-propre il apportait jusque dans les plus
petites choses. Au temps qu’il présidait l’Académie, un peintre italien, un de ces artistes nomades
dont l’histoire n’a pas même daigné conserver le nom, s’arrêtait à Sévihe. Désirant faire montre de son
habileté devant le cénacle des maîtres, il demanda l’autorisation de venir dessiner à l’Académie. Après
avoir entièrement noirci au charbon une feuille de papier, il commença, à l’aide de mies de pain, de
dégager les contours d’une figure, puis, successivement, il en modela toutes les parties avec la plus
étonnante dextérité : il dépêchait ainsi, dans sa soirée, deux ou trois figures. Valdès, qui se piquait d’être
le plus hardi et le plus savant dessinateur de l’École, ne put endurer le concert de louanges que ses collègues
prodiguèrent à la prestesse de main de l’étranger, et il lui refusa net l’entrée de l’Académie. A quelques
jours de là, l’Italien exposait sur les degrés de la cathédrale un Crucifix et un Saint Sébastien exécutés, ou
plutôt improvisés avec tant de verve et d’habileté, qu’ils firent sensation parmi les connaisseurs. On en prit
texte pour blâmer le dur refus que Valdès avait opposé aux sollicitations du pauvre peintre, et on ne
manqua pas d’en faire remonter la cause à ses instincts jaloux. Valdès, dont la tête s’échauffait vite, jura
que tout ce tapage coûterait cher à l’étranger. Il voulut voir là une sorte de défi public, et courut à la
recherche du peintre dans le dessein de le provoquer. Mais l’auteur involontaire de toute cette algarade,
prudemment conseillé, trouva moyen de quitter brusquement Séville.
Avec tous ces travers d’esprit, Valdès n’en est pas moins l’un des plus grands maîtres de l’École andalouse.
Doué d’un coloris brillant et d’une puissante imagination, son style est énergique et son dessin d’une
étonnante hardiesse. Dans ses ouvrages, largement conçus, mais d’une exécution souvent hâtive, ce qu’il
recherche avant tout c’est l’effet, et ses premiers plans, traités en vigueur, font, comme dans les tableaux de
son contemporain Herrera el Mozo, des repoussoirs énergiques au reste de la composition. Aimant
encore à tenir compte de l’emplacement que devaient occuper ses peintures, Valdès sacrifiait beaucoup à la
perspective; aussi, la plupart de ses grandes toiles, arrachées à quelques parties élevées d’un édifice, nous
apparaissent-elles aujourd’hui dans les musées ou dans les galeries, comme traitées en décor, d’une pratique
lâchée, d’un faire heurté et qui cède trop à l’abandon. Si son coloris est profond, éclatant, il manque de
cette suavité harmonieuse et de cette grâce pénétrante qui séduisent tout de suite dans Murillo. Cette
harmonie, ce charme, Valdès Leal, nature sombre, nerveuse, passionnée, les dédaigne ou plutôt les rejette, car
les sujets qu’il traite de préférence sont dramatiques et violents : il lui faut des supplices, les épisodes sanglants
des martyres, et il semble se complaire dans la représentation des plus repoussantes hideurs de la mort.
Murillo, s’adressant à Valdès, lui disait, en désignant la célèbre toile des Deux Cadavres, que l’on venait
de placer à l’hôpital de la Charité: « Voilà une peinture que l’on ne saurait regarder sans avoir aussitôt
envie de se boucher le nez. » Et cette singulière louange adressée au farouche réalisme de Valdès
avait cette fois le pouvoir de satisfaire l’amour-propre de l’irritable artiste; aussi répondit-il presque
gracieusement : « Eh ! compère, est-ce ma faute si vous avez pris pour vous les plus beaux fruits du panier.
« et ne m’avez laissé que des moisissures ? »
C’était avouer le mobile de ses partis-pris d’excentricité : puisque, dans le domaine de l’art, Murillo s’était
ÉCOLE ESPAGNOLE.
Murillo s’efforçait de créer une Académie de dessin, et il y conviait tous les artistes : architectes, graveurs,
sculpteurs et peintres. Seuls, Herrera el Mozo et Valdès Leal opposèrent à ce projet des résistances dont
Murillo parvint cependant à triompher. Le 11 janvier 1660 l’Académie était ouverte, et Valdès en était nommé
le mayordomo. Le 1er novembre de la même année, Valdès donna sa démission, puis il accepta de rentrer dans
cette fonction, et s’en démit encore à la suite de difficultés dont son détestable caractère était l’incessante
origine. Le 25 novembre 1663, cédant à ses orgueilleuses prétentions, on lui confia enfin la présidence de
F Académie, et il la conserva jusqu’au 30 novembre 1666. Mais à cette époque, de nouvelles querelles avec
les autres membres en charge l’amenèrent à renoncer définitivement à faire partie de l’Académie.
Tous les biographes de Valdès s’accordent à lui reprocher ses jalouses et amères critiques à l’égard de
ses émules. Il voulait être le premier en tout et partout. Un éloge adressé devant lui à un autre artiste
l’irritait à l’égal d’une injure personnelle. Palomino, dans sa biographie de Valdès, rapporte une curieuse
anecdote qui fera mieux connaître quel chatouilleux amour-propre il apportait jusque dans les plus
petites choses. Au temps qu’il présidait l’Académie, un peintre italien, un de ces artistes nomades
dont l’histoire n’a pas même daigné conserver le nom, s’arrêtait à Sévihe. Désirant faire montre de son
habileté devant le cénacle des maîtres, il demanda l’autorisation de venir dessiner à l’Académie. Après
avoir entièrement noirci au charbon une feuille de papier, il commença, à l’aide de mies de pain, de
dégager les contours d’une figure, puis, successivement, il en modela toutes les parties avec la plus
étonnante dextérité : il dépêchait ainsi, dans sa soirée, deux ou trois figures. Valdès, qui se piquait d’être
le plus hardi et le plus savant dessinateur de l’École, ne put endurer le concert de louanges que ses collègues
prodiguèrent à la prestesse de main de l’étranger, et il lui refusa net l’entrée de l’Académie. A quelques
jours de là, l’Italien exposait sur les degrés de la cathédrale un Crucifix et un Saint Sébastien exécutés, ou
plutôt improvisés avec tant de verve et d’habileté, qu’ils firent sensation parmi les connaisseurs. On en prit
texte pour blâmer le dur refus que Valdès avait opposé aux sollicitations du pauvre peintre, et on ne
manqua pas d’en faire remonter la cause à ses instincts jaloux. Valdès, dont la tête s’échauffait vite, jura
que tout ce tapage coûterait cher à l’étranger. Il voulut voir là une sorte de défi public, et courut à la
recherche du peintre dans le dessein de le provoquer. Mais l’auteur involontaire de toute cette algarade,
prudemment conseillé, trouva moyen de quitter brusquement Séville.
Avec tous ces travers d’esprit, Valdès n’en est pas moins l’un des plus grands maîtres de l’École andalouse.
Doué d’un coloris brillant et d’une puissante imagination, son style est énergique et son dessin d’une
étonnante hardiesse. Dans ses ouvrages, largement conçus, mais d’une exécution souvent hâtive, ce qu’il
recherche avant tout c’est l’effet, et ses premiers plans, traités en vigueur, font, comme dans les tableaux de
son contemporain Herrera el Mozo, des repoussoirs énergiques au reste de la composition. Aimant
encore à tenir compte de l’emplacement que devaient occuper ses peintures, Valdès sacrifiait beaucoup à la
perspective; aussi, la plupart de ses grandes toiles, arrachées à quelques parties élevées d’un édifice, nous
apparaissent-elles aujourd’hui dans les musées ou dans les galeries, comme traitées en décor, d’une pratique
lâchée, d’un faire heurté et qui cède trop à l’abandon. Si son coloris est profond, éclatant, il manque de
cette suavité harmonieuse et de cette grâce pénétrante qui séduisent tout de suite dans Murillo. Cette
harmonie, ce charme, Valdès Leal, nature sombre, nerveuse, passionnée, les dédaigne ou plutôt les rejette, car
les sujets qu’il traite de préférence sont dramatiques et violents : il lui faut des supplices, les épisodes sanglants
des martyres, et il semble se complaire dans la représentation des plus repoussantes hideurs de la mort.
Murillo, s’adressant à Valdès, lui disait, en désignant la célèbre toile des Deux Cadavres, que l’on venait
de placer à l’hôpital de la Charité: « Voilà une peinture que l’on ne saurait regarder sans avoir aussitôt
envie de se boucher le nez. » Et cette singulière louange adressée au farouche réalisme de Valdès
avait cette fois le pouvoir de satisfaire l’amour-propre de l’irritable artiste; aussi répondit-il presque
gracieusement : « Eh ! compère, est-ce ma faute si vous avez pris pour vous les plus beaux fruits du panier.
« et ne m’avez laissé que des moisissures ? »
C’était avouer le mobile de ses partis-pris d’excentricité : puisque, dans le domaine de l’art, Murillo s’était