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LA CHRONIQUE DES ARTS
trouvé une manière propre à l’exprimer. Ce
jeune artiste, dont la personnalité s’est déve-
loppée en « première ligne », a exprimé à la plume
et au lavis, par des masses opposées de blanc
et de noir, la terreur des nuits que déchire
la llamme des incendies ou des crépuscules assom-
bris par la fumée des explosions. Quelques traits
évoquent ie sol désolé et l’homme, si fragile dans
ce désert hostile. Souhaitons seulement que la
trouvaille de M. Galtier-Boissière ne se lige pas
en procédé.
Il faut admirer dans une exposition d’eaux-fortès
et de lithographies (1), où figurent M. Lepère.
MM. Jou et Marret, des estampes, poignantes avec
M. Steinlen [Les Evacués, La Famille serbe),tou-
chantes avec M. Renouard [Les Blessés au Val-
de-Orâce).
La sculpture ne s’est pas laissé oublier durant
ce trimestre. Ce furent, à la galeriellébrard (2), de
petites maquettes de M. Aubé, restées à l'état de
projet, ou dont la réalisation est devenue familière
aux Parisiens. Entre elles se distinguait le Bailly
du Luxembourg. Le format réduit ne laisse pas
que de convenir à un art souvent plus pittores-
que que monumental. Nous vîmes aussi quelques
statuettes de Desbois, bronzes ou marbres, dès
longtemps connues et appréciées (3).
La perte de Rodin est venue donner une triste
actualité à une réunion de bronzes et de dessins de
lui, galerie Haussmann (4). Dans cet œuvre génial
et dont l’inspiration ne fait plus d’émules, notre
temps trouve enfin à se satifaire. Que faut-il ima-
giner de plus proche de nous que ces statues exé-
cutées depuis de longues années; les Bourgeois de
Calais, VAppel aux armes, ou ces corps que tour-
mentent le rêve et la détresse? Ils nous ensei-
gnent qu’il n’est point d’émotions que l’art ae soit
capable _de rendre par des moyens uniquement
plastiques. Puisse cette grande leçon être une pro-
messe d’avenir !
*
* *
L’art appliqué nous ramène à des pensers plus
utilitaires. Outre une exposition chinoise à la ga-
lerie La Boëtie (5), où les peintures s’ajoutent anx
meubles et aux bibelots, le Musée des Arts déco-
ratifs réclame notre attention par des essais d’ins-
tallations modernes (6). Il faut savoir gré aux
« Galeries Lafayette » — bien que le concours or-
ganisé par elles n’ait pas produit les résultats dé-
sirés — de vouloir offrir pour des prix modérés
des ensembles simples et de lignes agréables.
Parmi les aménagements plus luxueux qui les
escortaient, notons seulement une chambre harmo-
nieuse de M. Maurice Dufresne où il est peut être
fait abus, par réaction contre les froideurs du
Louis XVI, des couleurs capiteuses, et un boudoir
de M. Michel Duffet. Sur la grise tapisserie de
celui-ci, conçue avec la fantaisie d’un décor deballet,
s'élancent çà et là de hautes tiges qui viennent grou-
per en ovale sur le plafond oblong leurs dernières
fleurs. Leur disposition encadre et fait valoir les
meubles, qui ne santpas tout à fait dignes d’une idée
heureuse et mise en œuvre avec goût. C'est àpeine,
au contraire, s’il est une sélection à faire parmi
(1) Galerie Georges Petit, du l'rau3i décembre.
— (2) Jusqu’au 14 décembre. — (3) Galerie Hé-
brard, du 4 au 15 décembre. — (4) Depuis le 6
novembre. — (5) Du 2 décembre au 20 janvier
_(6) Du 15 nov#mbre au 30 décembre.
les beaux tissus. Ceux de M.Coudyser, de M1U La-
lique, ceux surtout de M. Maurice Dufresne, unis-
sent l’élégance du dessin et le choix des nuances.
Citons aussi les batiks de Mm* Pangon. N’oublions
pas les tapisseries que Mms Deltombe montrait
ailleurs (1); ni les panueaux de Mme Maillaud, qui
figuraient au milieu d’une médiocre exposition
de peintres divers (2) : elle y adapte à des paysages
brodés en laine les procédés de l’impressionnisme.
Clotilde Misme.
Exposition Lévy-Dhurmer
Durant tout ce mois de décembre, le peintre
Lucien Lévy-Dhurmer a exposé à la galerie De-
wambez un ensemble de pastels originaux, qui
sont du ragoût le plus délicat et de la saveur la
plus intense. Dans la cohorte des pastellistes
contemporains, M. Lévy-Dhurmer tient une place
bien à lui. L’art du pastel — qui exclut toute mé-
diocrité — sert à merveille ses facultés de rêve, et
ses œuvres, en captivant l’imagination, donnent
essor à tous les souvenirs des belles féeries d’au-
tre fois.
Il n’est point, peut-être, d’œuvre qui résume
mieux le talent de M. Lévy-Dhurmer que le pan-
neau décoratif intitulé Les Roses d'Ispahan, sym-
phonie en rose et bleu pâle, « d’après la musique
de Gabriel Fauré », paysage poétique qui emporte
lame, par toutes les fibres de la sensualité, dans
des songes sans fin. Ces touffes de roses du pre-
mier plan, dont le parfum qu’ou respire fait sur-
gir peu à peu sous nos yeux extasiés la vision
lointaine des minarets et des coupoles baignés de
l’atmosphère d’Orient, si fluide et vibrante de pous-
sière d’or, quelle expression ingénieuse pour évo-
quer telle musique génératrice de songes!... Ce
panneau accueille le visiteur au seuil de cette
exposition, qui présente seulement quelques œu-
vres de l’artiste, choisies parmi les plus récentes.
D’origine algérienne, M. Lévy-Dhurmer s’est
vite imposé à l’estime des amateurs et à l’appré-
ciation des connaisseurs. La puissance de séduc-
tion de sa peinture est rare. Ses recherches ori-
ginales, inattendues, de coloris, qui ne sacrifient
rien du dessin, affirment une personnalité d’ar-
tiste, toujours en quête de la supériorité dans les
moyens d'expression, soucieuse de combiner le
rêve et la réalité, ennemie de toute laideur. A sa
manière, cet artiste est un poète qui embellit, par
la féerie de sa palette, les tristes spectacles de
notre vie.
Les douze pastels de l’album Les Mères pen.
dant la guerre confirment ces méditations. Ils
sont, ces pastels originaux, avec quelques études
d’Orient et quelques portraits d'Hindous, la ma-
tière de l’exposition.
L’auteur a mis dans ces documents d’art et de
vie toute sa pitié et toute son émotion ; mais il
n’est point de page qui l'emporte sur La Mère de
l'Aveugle. C’est toute la tristesse du fils, dont
la jeunesse est désormais sans joie, et c'est toute
l'admirablè sollicitude maternelle, qui se hâte à
diriger les pas de cet enfant désormais bien à elle
— avec quelle joie, mais aussi avec quel chagrin 1
— et les lueurs d’aube qui forment fond, sont
comme le poème d’espérances futures vers qui s a-
(1) Galerie Druet, du 17 au 29 décembre.-(2)iGa-
lerie du Luxembourg, du 3au 30 novembre.
LA CHRONIQUE DES ARTS
trouvé une manière propre à l’exprimer. Ce
jeune artiste, dont la personnalité s’est déve-
loppée en « première ligne », a exprimé à la plume
et au lavis, par des masses opposées de blanc
et de noir, la terreur des nuits que déchire
la llamme des incendies ou des crépuscules assom-
bris par la fumée des explosions. Quelques traits
évoquent ie sol désolé et l’homme, si fragile dans
ce désert hostile. Souhaitons seulement que la
trouvaille de M. Galtier-Boissière ne se lige pas
en procédé.
Il faut admirer dans une exposition d’eaux-fortès
et de lithographies (1), où figurent M. Lepère.
MM. Jou et Marret, des estampes, poignantes avec
M. Steinlen [Les Evacués, La Famille serbe),tou-
chantes avec M. Renouard [Les Blessés au Val-
de-Orâce).
La sculpture ne s’est pas laissé oublier durant
ce trimestre. Ce furent, à la galeriellébrard (2), de
petites maquettes de M. Aubé, restées à l'état de
projet, ou dont la réalisation est devenue familière
aux Parisiens. Entre elles se distinguait le Bailly
du Luxembourg. Le format réduit ne laisse pas
que de convenir à un art souvent plus pittores-
que que monumental. Nous vîmes aussi quelques
statuettes de Desbois, bronzes ou marbres, dès
longtemps connues et appréciées (3).
La perte de Rodin est venue donner une triste
actualité à une réunion de bronzes et de dessins de
lui, galerie Haussmann (4). Dans cet œuvre génial
et dont l’inspiration ne fait plus d’émules, notre
temps trouve enfin à se satifaire. Que faut-il ima-
giner de plus proche de nous que ces statues exé-
cutées depuis de longues années; les Bourgeois de
Calais, VAppel aux armes, ou ces corps que tour-
mentent le rêve et la détresse? Ils nous ensei-
gnent qu’il n’est point d’émotions que l’art ae soit
capable _de rendre par des moyens uniquement
plastiques. Puisse cette grande leçon être une pro-
messe d’avenir !
*
* *
L’art appliqué nous ramène à des pensers plus
utilitaires. Outre une exposition chinoise à la ga-
lerie La Boëtie (5), où les peintures s’ajoutent anx
meubles et aux bibelots, le Musée des Arts déco-
ratifs réclame notre attention par des essais d’ins-
tallations modernes (6). Il faut savoir gré aux
« Galeries Lafayette » — bien que le concours or-
ganisé par elles n’ait pas produit les résultats dé-
sirés — de vouloir offrir pour des prix modérés
des ensembles simples et de lignes agréables.
Parmi les aménagements plus luxueux qui les
escortaient, notons seulement une chambre harmo-
nieuse de M. Maurice Dufresne où il est peut être
fait abus, par réaction contre les froideurs du
Louis XVI, des couleurs capiteuses, et un boudoir
de M. Michel Duffet. Sur la grise tapisserie de
celui-ci, conçue avec la fantaisie d’un décor deballet,
s'élancent çà et là de hautes tiges qui viennent grou-
per en ovale sur le plafond oblong leurs dernières
fleurs. Leur disposition encadre et fait valoir les
meubles, qui ne santpas tout à fait dignes d’une idée
heureuse et mise en œuvre avec goût. C'est àpeine,
au contraire, s’il est une sélection à faire parmi
(1) Galerie Georges Petit, du l'rau3i décembre.
— (2) Jusqu’au 14 décembre. — (3) Galerie Hé-
brard, du 4 au 15 décembre. — (4) Depuis le 6
novembre. — (5) Du 2 décembre au 20 janvier
_(6) Du 15 nov#mbre au 30 décembre.
les beaux tissus. Ceux de M.Coudyser, de M1U La-
lique, ceux surtout de M. Maurice Dufresne, unis-
sent l’élégance du dessin et le choix des nuances.
Citons aussi les batiks de Mm* Pangon. N’oublions
pas les tapisseries que Mms Deltombe montrait
ailleurs (1); ni les panueaux de Mme Maillaud, qui
figuraient au milieu d’une médiocre exposition
de peintres divers (2) : elle y adapte à des paysages
brodés en laine les procédés de l’impressionnisme.
Clotilde Misme.
Exposition Lévy-Dhurmer
Durant tout ce mois de décembre, le peintre
Lucien Lévy-Dhurmer a exposé à la galerie De-
wambez un ensemble de pastels originaux, qui
sont du ragoût le plus délicat et de la saveur la
plus intense. Dans la cohorte des pastellistes
contemporains, M. Lévy-Dhurmer tient une place
bien à lui. L’art du pastel — qui exclut toute mé-
diocrité — sert à merveille ses facultés de rêve, et
ses œuvres, en captivant l’imagination, donnent
essor à tous les souvenirs des belles féeries d’au-
tre fois.
Il n’est point, peut-être, d’œuvre qui résume
mieux le talent de M. Lévy-Dhurmer que le pan-
neau décoratif intitulé Les Roses d'Ispahan, sym-
phonie en rose et bleu pâle, « d’après la musique
de Gabriel Fauré », paysage poétique qui emporte
lame, par toutes les fibres de la sensualité, dans
des songes sans fin. Ces touffes de roses du pre-
mier plan, dont le parfum qu’ou respire fait sur-
gir peu à peu sous nos yeux extasiés la vision
lointaine des minarets et des coupoles baignés de
l’atmosphère d’Orient, si fluide et vibrante de pous-
sière d’or, quelle expression ingénieuse pour évo-
quer telle musique génératrice de songes!... Ce
panneau accueille le visiteur au seuil de cette
exposition, qui présente seulement quelques œu-
vres de l’artiste, choisies parmi les plus récentes.
D’origine algérienne, M. Lévy-Dhurmer s’est
vite imposé à l’estime des amateurs et à l’appré-
ciation des connaisseurs. La puissance de séduc-
tion de sa peinture est rare. Ses recherches ori-
ginales, inattendues, de coloris, qui ne sacrifient
rien du dessin, affirment une personnalité d’ar-
tiste, toujours en quête de la supériorité dans les
moyens d'expression, soucieuse de combiner le
rêve et la réalité, ennemie de toute laideur. A sa
manière, cet artiste est un poète qui embellit, par
la féerie de sa palette, les tristes spectacles de
notre vie.
Les douze pastels de l’album Les Mères pen.
dant la guerre confirment ces méditations. Ils
sont, ces pastels originaux, avec quelques études
d’Orient et quelques portraits d'Hindous, la ma-
tière de l’exposition.
L’auteur a mis dans ces documents d’art et de
vie toute sa pitié et toute son émotion ; mais il
n’est point de page qui l'emporte sur La Mère de
l'Aveugle. C’est toute la tristesse du fils, dont
la jeunesse est désormais sans joie, et c'est toute
l'admirablè sollicitude maternelle, qui se hâte à
diriger les pas de cet enfant désormais bien à elle
— avec quelle joie, mais aussi avec quel chagrin 1
— et les lueurs d’aube qui forment fond, sont
comme le poème d’espérances futures vers qui s a-
(1) Galerie Druet, du 17 au 29 décembre.-(2)iGa-
lerie du Luxembourg, du 3au 30 novembre.