BIBLIOTHÈQUES DU MOYEN AGE.
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XV.
A ces bibliothécaires it fallait des livres, et à. ces copistes, des textes qu'ils pussent
reproduire; or comment se tes procurer, iorsque ta rareté des ouvrag-es, la difficulté des
communications, l'incertitude ou même ta nudité des données sur l'état des bibliothèques
étrangères, semblaient faites pour décourager le zèle le plus ardent? On faisait face à ces
obstacles avec une opiniâtreté de recherches, un empressement et une continuité d'efforts,
dont je recommande l'appréciation à ceux qui parlent de l'indifférence du moyen âge, ou
même de son mépris pour les sciences. Sans doute des donations venaient quelquefois
au-devant de leurs désirs, ou récompensaient leurs sollicitations et leurs recherches* ; ainsi
le fondateur du monastère de Saint-Jacques m 2A.SMA7, à Liège, pourvut à la bibliothèque en
même temps qu'aux constructions et possessions de l'abbaye L Mais qu'était-ce pour le besoin
(une sorte d'académie comme ceHe de Bologne),
pour le droit romain (Lf. KM. de la F?'., t. XIV, p.1!8-
tl9)? Malgré le poids de pareil témoignage, ne serait-il pas
absolument possible que cette école de droit fût tout sim-
plement l'un des cours de l'école capitulaire? Cf. Nardi, op.
c., passim. — Andr. Müiler, ÉeæiA. d. JfircAenrecAts, passim;
etc. — Masdeu, RLsf. cr%. de Éspaâa, t. XI, Xlll, XV, etc.
—Je vois bien d'ici plusieurs réponses que l'on pourrait
imaginer à mon observation, mais je n'en reconnaitrais
qu'une bonne; ce serait de montrer tout simplement qu'il
y avait bien à Auxerre un cours de droit en dehors de
l'école ecclésiastique. Jusqu'à cette démonstration, ma dif-
ficulté subsiste, comme on dit; parce que jusque-là je suis
en possession de contre une simple hypothèse.
Sur les écoles capitulaires, ou même collegiales, je re-
grette de n'avoir pu consulter les trois volumes in-f° d'un
prémontré catalan (Joseph Marti) mort en 1806, qui trai-
tent de la vie canoniale dans les Églises de Catalogne;
mais principalement des chanoines réguliers de Saint-
Augustin et de leur sécularisation. On peut du moins con-
sulter Masdeu, Rislc?*. crîMeadeÆspaüa, t. XI, p. 193, 312;
t. Xlll, p. 313 sgg.; t. XV, p. 246. sgg. — AnMcARà Ronyo-
Aardieo-HRanesii, t. 111, p. 377 -388. — Ziegelbauer, op.
cK., t. 1, p. 313, 319, 212. — Hohrbacher, Jfùd. Mwiu. de
UÉyR'se catA., t. XiV (1844), p. 479, svv. — iMsirMct. puMi-
yae à Roue;: durant te moyen âge (dans le Précis anaiyt. des
travamc de l'académie des sciences de Rouen, 1848). — Le
Correspondant, janvier 1874, p. 15, svv.; 33, sv.; etc.
1. Saint Odon, depuis abbé de Cluny (x° siècle), et ins-
tituteur de la congrégation de ce nom, avait apporté au
monastère (la Baume en Bourgogne) où il prit l'habit, ses
livres qui étaient au nombre de cent volumes (Ceillier,
t. XIX, c. xt,, n° 3). Mais des hommes tels que saint
Odon n étaient pas communs; il fallait, pour former une
bibliothèque semblable, posséder à la fois des richesses et
des connaissances, qui n étaient pas souvent réunies.
C'était donc un rare bonheur, et dont les communautés
recherchaient l'occasion de tout leur pouvoir. Mabillon
(Éludes mowasii'yMes, c. x) rapporte une lettre écrite au
nom de saint Bernard (par Nicolas, son secrétaire, ep. 29),
à Philippe, chancelier de l'empereur et prévôt de Cologne;
le saint abbé, apprenant que cet ecclesiastique songeait à
partir pour la Terre-Sainte, l'invite à laisser sa bibliothè-
que aux moines de Citeaux. Et toutefois les premiers Cis-
terciens se piquaient peu d'études.
Guillaume de Cambray, archevêque de Bourges, mort en
1305, laissa ses livres au monastère de Chezal-Uonoit, chef
d'une réforme bénédictine qui eut beaucoup d'influence
dans nos provinces.
Dans les obituaires et les calendriers (pour commémorai-
son aux anniversaires), on trouve fréquemment les dona-
teurs de livres. Cf. Cancellieri, De sécrétants.... 1.11, p. 859,
86t, 864-871. — BiMiotA. de f École des CAartes, v° série,
t. 111, p. 38, svv.; et 50, svv.
A défaut de donateurs, on achetait les livres à grands
frais. Grimold, abbé de Saint-Gall (ix° siècle), est loué par
Metzler (ap. Lebrun, ÆæpKeaMon de la messe, t. lit, 2" dis-
sert., art. n), pour avoir employé des sommes considé-
rables à se procurer les meilleurs ouvrages. Une charte
d'Ensdorff (ap. Œfele, Rerum Aotcaram sertpfores, t. 1)
atteste la cession viagère d'un bien de l'abbaye, faite à une
certaine Élisabeth Zrenner, en payement d'une partie de la
bibliothèque laissée par son frère le doyen (1102). Jean,
abbé de Beaugency (xn° siècle), informé qu'une bibliothè-
que importante était à vendre, conjure son ami de ne pas
la laisser acheter par d'autres. « Rogamus vos quatinus
c bibliothecam illam, si tam bona est ut scribitis, retinea-
<( tis ne alteri vendatur; quia in reditu Capituli, per vos
« veniemus, eteam cum consilio vestro, si Deo placet, com-
« parabimus. H Correspondance de Gaufred ou Geolfroi,
ap. Martène, TAesuaras aaecdotor., 1.1, col. 514.
Lorsque Édouard 1 (Langshranks) chassa d'Angleterre
les juifs qui s'y étaient extraordinairement multipliés de-
puis Guillaume le Conquérant, deux moines do Ramsey
jugèrent utile d'exploiter une si belle occasion. Mettant
donc à profit la confiscation prononcée contre les Israélites,
ils achetèrent aux gens du roi, pour leur abbaye, quantité
de livres des synagogues supprimées ; en sorte que la bi-
bliothèque de Ramsey était la mieux fournie de toute l'An-
gleterre en fait de mss. hébreux. Cf. Ziegelbauer, op. ctt.,
1.1. Le BrUisA Jfaseam en aura bénéficié.
Nous rencontrerons ailleurs plusieurs faits semblables,
que je n'ai pas voulu entasser ici.
2. Ziegelbauer, R. Ht. O. S. R., t. 1, p. 456. Aux yeux
de saint Ignace de Loyola, une fondation n'est pas censée
achevée, si la bibliothèque n'y a pas été comprise.
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XV.
A ces bibliothécaires it fallait des livres, et à. ces copistes, des textes qu'ils pussent
reproduire; or comment se tes procurer, iorsque ta rareté des ouvrag-es, la difficulté des
communications, l'incertitude ou même ta nudité des données sur l'état des bibliothèques
étrangères, semblaient faites pour décourager le zèle le plus ardent? On faisait face à ces
obstacles avec une opiniâtreté de recherches, un empressement et une continuité d'efforts,
dont je recommande l'appréciation à ceux qui parlent de l'indifférence du moyen âge, ou
même de son mépris pour les sciences. Sans doute des donations venaient quelquefois
au-devant de leurs désirs, ou récompensaient leurs sollicitations et leurs recherches* ; ainsi
le fondateur du monastère de Saint-Jacques m 2A.SMA7, à Liège, pourvut à la bibliothèque en
même temps qu'aux constructions et possessions de l'abbaye L Mais qu'était-ce pour le besoin
(une sorte d'académie comme ceHe de Bologne),
pour le droit romain (Lf. KM. de la F?'., t. XIV, p.1!8-
tl9)? Malgré le poids de pareil témoignage, ne serait-il pas
absolument possible que cette école de droit fût tout sim-
plement l'un des cours de l'école capitulaire? Cf. Nardi, op.
c., passim. — Andr. Müiler, ÉeæiA. d. JfircAenrecAts, passim;
etc. — Masdeu, RLsf. cr%. de Éspaâa, t. XI, Xlll, XV, etc.
—Je vois bien d'ici plusieurs réponses que l'on pourrait
imaginer à mon observation, mais je n'en reconnaitrais
qu'une bonne; ce serait de montrer tout simplement qu'il
y avait bien à Auxerre un cours de droit en dehors de
l'école ecclésiastique. Jusqu'à cette démonstration, ma dif-
ficulté subsiste, comme on dit; parce que jusque-là je suis
en possession de contre une simple hypothèse.
Sur les écoles capitulaires, ou même collegiales, je re-
grette de n'avoir pu consulter les trois volumes in-f° d'un
prémontré catalan (Joseph Marti) mort en 1806, qui trai-
tent de la vie canoniale dans les Églises de Catalogne;
mais principalement des chanoines réguliers de Saint-
Augustin et de leur sécularisation. On peut du moins con-
sulter Masdeu, Rislc?*. crîMeadeÆspaüa, t. XI, p. 193, 312;
t. Xlll, p. 313 sgg.; t. XV, p. 246. sgg. — AnMcARà Ronyo-
Aardieo-HRanesii, t. 111, p. 377 -388. — Ziegelbauer, op.
cK., t. 1, p. 313, 319, 212. — Hohrbacher, Jfùd. Mwiu. de
UÉyR'se catA., t. XiV (1844), p. 479, svv. — iMsirMct. puMi-
yae à Roue;: durant te moyen âge (dans le Précis anaiyt. des
travamc de l'académie des sciences de Rouen, 1848). — Le
Correspondant, janvier 1874, p. 15, svv.; 33, sv.; etc.
1. Saint Odon, depuis abbé de Cluny (x° siècle), et ins-
tituteur de la congrégation de ce nom, avait apporté au
monastère (la Baume en Bourgogne) où il prit l'habit, ses
livres qui étaient au nombre de cent volumes (Ceillier,
t. XIX, c. xt,, n° 3). Mais des hommes tels que saint
Odon n étaient pas communs; il fallait, pour former une
bibliothèque semblable, posséder à la fois des richesses et
des connaissances, qui n étaient pas souvent réunies.
C'était donc un rare bonheur, et dont les communautés
recherchaient l'occasion de tout leur pouvoir. Mabillon
(Éludes mowasii'yMes, c. x) rapporte une lettre écrite au
nom de saint Bernard (par Nicolas, son secrétaire, ep. 29),
à Philippe, chancelier de l'empereur et prévôt de Cologne;
le saint abbé, apprenant que cet ecclesiastique songeait à
partir pour la Terre-Sainte, l'invite à laisser sa bibliothè-
que aux moines de Citeaux. Et toutefois les premiers Cis-
terciens se piquaient peu d'études.
Guillaume de Cambray, archevêque de Bourges, mort en
1305, laissa ses livres au monastère de Chezal-Uonoit, chef
d'une réforme bénédictine qui eut beaucoup d'influence
dans nos provinces.
Dans les obituaires et les calendriers (pour commémorai-
son aux anniversaires), on trouve fréquemment les dona-
teurs de livres. Cf. Cancellieri, De sécrétants.... 1.11, p. 859,
86t, 864-871. — BiMiotA. de f École des CAartes, v° série,
t. 111, p. 38, svv.; et 50, svv.
A défaut de donateurs, on achetait les livres à grands
frais. Grimold, abbé de Saint-Gall (ix° siècle), est loué par
Metzler (ap. Lebrun, ÆæpKeaMon de la messe, t. lit, 2" dis-
sert., art. n), pour avoir employé des sommes considé-
rables à se procurer les meilleurs ouvrages. Une charte
d'Ensdorff (ap. Œfele, Rerum Aotcaram sertpfores, t. 1)
atteste la cession viagère d'un bien de l'abbaye, faite à une
certaine Élisabeth Zrenner, en payement d'une partie de la
bibliothèque laissée par son frère le doyen (1102). Jean,
abbé de Beaugency (xn° siècle), informé qu'une bibliothè-
que importante était à vendre, conjure son ami de ne pas
la laisser acheter par d'autres. « Rogamus vos quatinus
c bibliothecam illam, si tam bona est ut scribitis, retinea-
<( tis ne alteri vendatur; quia in reditu Capituli, per vos
« veniemus, eteam cum consilio vestro, si Deo placet, com-
« parabimus. H Correspondance de Gaufred ou Geolfroi,
ap. Martène, TAesuaras aaecdotor., 1.1, col. 514.
Lorsque Édouard 1 (Langshranks) chassa d'Angleterre
les juifs qui s'y étaient extraordinairement multipliés de-
puis Guillaume le Conquérant, deux moines do Ramsey
jugèrent utile d'exploiter une si belle occasion. Mettant
donc à profit la confiscation prononcée contre les Israélites,
ils achetèrent aux gens du roi, pour leur abbaye, quantité
de livres des synagogues supprimées ; en sorte que la bi-
bliothèque de Ramsey était la mieux fournie de toute l'An-
gleterre en fait de mss. hébreux. Cf. Ziegelbauer, op. ctt.,
1.1. Le BrUisA Jfaseam en aura bénéficié.
Nous rencontrerons ailleurs plusieurs faits semblables,
que je n'ai pas voulu entasser ici.
2. Ziegelbauer, R. Ht. O. S. R., t. 1, p. 456. Aux yeux
de saint Ignace de Loyola, une fondation n'est pas censée
achevée, si la bibliothèque n'y a pas été comprise.