ESPAGNE DU HAUT MOYEN AGE.
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si, à l'une et l'autre époque, tout monastère de quelque importance avait sa bibliothèque,
— et, après ce qu'on a lu dans ce chapitre et dans les précédents, il est impossible de révo-
quer ce fait en doute, —jamais aucune province de l'ancien royaume hispano-g'otbique ne
vit plus de grands monastères groupés sur son territoire, que les Asturies, la Galice, Léon,
la Navarre ou la Castille. Je me bâte toutefois d'ajouter que ces collections, toute proportion
gardée égales en nombre dans l'Espagme nouvelle à celles de l'ancienne Espagne, leur
étaient très-inférieures quant aux richesses que chacune d'elle renfermait. Les bibliothè-
ques épiscopales d'Oviédo et de Léon, par exemple, ne sauraient, sous ce rapport, soutenir
un moment la comparaison avec celles de Séville sous Isidore, de Saragnsse sous Draulion,
de Tolède sous les Eugène et les Julien. Car, tout en prenant plus au sérieux les affirma-
tions de Pelage de Léon et du chroniqueur d'iria, que les ineffables gasconnades desAa-
musulmans de Cordoue et d'ailleurs, je ne pense pas plus tomber au-dessous de la
vérité en ramenant à quelques centaines le de volumes, dont il est question
dans la charte de Pélage, et à moins encore, la des livres rapportés de Rome par
l'agent de Sisenand I d'iria, qu'en réduisant au vingtième et au quarantième de son chiffre
total le nombre véritablement fantastique de manuscrits, entassés par l'imagination arabe
dans la bibliothèque des califes de Cordoue, ou même dans celle d'un simple vizir du jdrtA-
C2)Ae?//<?d'Almeria, aux premières années du xi° siècle'.
Mais, en constatant cette pauvreté relative des bibliothèques asturiennes ou léonaises,
comparées aux grandes collections de l'Espagne wisigothique, g'ardons-nous d'oublier
les circonstances spéciales qui excusent cette infériorité en l'expliquant. Les bibliothèques
espagnoles échappèrent presque toutes, nous l'avons vu^, à l'invasion des barbares dans la
Péninsule, au v° siècle, et par conséquent, prélats, moines et lettrés de siècles suivants,
héritiers des trésors littéraires ou scientifiques amassés par leurs prédécesseurs, purent
immédiatement utiliser ces richesses, qu'ils n'avaient eu que la peine de recueillir et de
conserver. Il en fut tout autrement au vm° siècle, lors de l'invasion arabe. En moins de
trois ans, les nouveaux conquérants étaient maîtres de la Péninsule entière ; pas de ville
qui n'eut subi le joug. Tout ce que chacune d'elles renfermait de précieux, les bibliothèques
comprises, ou devint la proie du vainqueur, ou ne fut laissé, à titre plus ou moins précaire,
qu'aux Espagnols qui se soumettaient aux dominateurs étrangers. Les chrétiens, réfu-
giés dans les massifs montagneux du nord-ouest, se trouvèrent donc, au début de leur
lutte séculaire contre l'islam, absolument dépouillés de tout. En fait de livres, ils étaient
réduits aux collections des rares monastères asturiens et cantabriques, grossies des ma-
nuscrits évidemment peu nombreux qu'avaient pu emporter les fuyards des contrées en-
vahies par les musulmans. Tout était donc à créer sous ce rapport, et si grand qu'ait
été le zèle des clercs asturiens et léonais à remplir la tâche que les circonstances leur im-
posaient, on comprend sans peine que des siècles entiers d'un travail assidu n'aient pu suffire
4. « Le vizir de Zohair d'Almérie, Jbn-Abbâs, était aussi
cil effet un homme fort remarquable... sa richesse était
presque fabuicuse. On ëvaiuait sa fortune à ptus de cinq
cent miiie ducats. H — C'est-à-dire, comme M. ))ozy t'ob-
serve en note, cinq minions de francs, et, au pouvoir actuel
de l'argent, trente-cinq millions. — « Son palais était meu-
blé avec une magnificence princière et encombré de servi-
teurs; il avait cinq cents chanteuses, toutes d'une rare
beauté ; mais, ce qu'on y admirait surtout, c'était une im-
mense bibliothèque, qui, sans compter d'Mmomûruêfes ca-
hiers détachés, contenait quatre cent mille volumes, x Dozy,
Hit'sf. des AfMSMfm., IV, 34, 3a. —- L'annaliste arabe d'où sont
tirés ces renseignements a eu tort de s'arrêter en si beau
chemin. A sa place, j'aurais grossi le dernier chiffre d'une
centaine de mille. Cinq cents chanteuses, cinq cent miiie
volumes, cinq cent mille ducats : le parallélisme eût été
complet, et le récit y eût gagné un charme de plus. Pour-
quoi se borner, quand on écrit avec tant de verve un sup-
plément aux AKHe et une Aitifs ?
2. V. supr. p. 231.
iv. — 41
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si, à l'une et l'autre époque, tout monastère de quelque importance avait sa bibliothèque,
— et, après ce qu'on a lu dans ce chapitre et dans les précédents, il est impossible de révo-
quer ce fait en doute, —jamais aucune province de l'ancien royaume hispano-g'otbique ne
vit plus de grands monastères groupés sur son territoire, que les Asturies, la Galice, Léon,
la Navarre ou la Castille. Je me bâte toutefois d'ajouter que ces collections, toute proportion
gardée égales en nombre dans l'Espagme nouvelle à celles de l'ancienne Espagne, leur
étaient très-inférieures quant aux richesses que chacune d'elle renfermait. Les bibliothè-
ques épiscopales d'Oviédo et de Léon, par exemple, ne sauraient, sous ce rapport, soutenir
un moment la comparaison avec celles de Séville sous Isidore, de Saragnsse sous Draulion,
de Tolède sous les Eugène et les Julien. Car, tout en prenant plus au sérieux les affirma-
tions de Pelage de Léon et du chroniqueur d'iria, que les ineffables gasconnades desAa-
musulmans de Cordoue et d'ailleurs, je ne pense pas plus tomber au-dessous de la
vérité en ramenant à quelques centaines le de volumes, dont il est question
dans la charte de Pélage, et à moins encore, la des livres rapportés de Rome par
l'agent de Sisenand I d'iria, qu'en réduisant au vingtième et au quarantième de son chiffre
total le nombre véritablement fantastique de manuscrits, entassés par l'imagination arabe
dans la bibliothèque des califes de Cordoue, ou même dans celle d'un simple vizir du jdrtA-
C2)Ae?//<?d'Almeria, aux premières années du xi° siècle'.
Mais, en constatant cette pauvreté relative des bibliothèques asturiennes ou léonaises,
comparées aux grandes collections de l'Espagne wisigothique, g'ardons-nous d'oublier
les circonstances spéciales qui excusent cette infériorité en l'expliquant. Les bibliothèques
espagnoles échappèrent presque toutes, nous l'avons vu^, à l'invasion des barbares dans la
Péninsule, au v° siècle, et par conséquent, prélats, moines et lettrés de siècles suivants,
héritiers des trésors littéraires ou scientifiques amassés par leurs prédécesseurs, purent
immédiatement utiliser ces richesses, qu'ils n'avaient eu que la peine de recueillir et de
conserver. Il en fut tout autrement au vm° siècle, lors de l'invasion arabe. En moins de
trois ans, les nouveaux conquérants étaient maîtres de la Péninsule entière ; pas de ville
qui n'eut subi le joug. Tout ce que chacune d'elles renfermait de précieux, les bibliothèques
comprises, ou devint la proie du vainqueur, ou ne fut laissé, à titre plus ou moins précaire,
qu'aux Espagnols qui se soumettaient aux dominateurs étrangers. Les chrétiens, réfu-
giés dans les massifs montagneux du nord-ouest, se trouvèrent donc, au début de leur
lutte séculaire contre l'islam, absolument dépouillés de tout. En fait de livres, ils étaient
réduits aux collections des rares monastères asturiens et cantabriques, grossies des ma-
nuscrits évidemment peu nombreux qu'avaient pu emporter les fuyards des contrées en-
vahies par les musulmans. Tout était donc à créer sous ce rapport, et si grand qu'ait
été le zèle des clercs asturiens et léonais à remplir la tâche que les circonstances leur im-
posaient, on comprend sans peine que des siècles entiers d'un travail assidu n'aient pu suffire
4. « Le vizir de Zohair d'Almérie, Jbn-Abbâs, était aussi
cil effet un homme fort remarquable... sa richesse était
presque fabuicuse. On ëvaiuait sa fortune à ptus de cinq
cent miiie ducats. H — C'est-à-dire, comme M. ))ozy t'ob-
serve en note, cinq minions de francs, et, au pouvoir actuel
de l'argent, trente-cinq millions. — « Son palais était meu-
blé avec une magnificence princière et encombré de servi-
teurs; il avait cinq cents chanteuses, toutes d'une rare
beauté ; mais, ce qu'on y admirait surtout, c'était une im-
mense bibliothèque, qui, sans compter d'Mmomûruêfes ca-
hiers détachés, contenait quatre cent mille volumes, x Dozy,
Hit'sf. des AfMSMfm., IV, 34, 3a. —- L'annaliste arabe d'où sont
tirés ces renseignements a eu tort de s'arrêter en si beau
chemin. A sa place, j'aurais grossi le dernier chiffre d'une
centaine de mille. Cinq cents chanteuses, cinq cent miiie
volumes, cinq cent mille ducats : le parallélisme eût été
complet, et le récit y eût gagné un charme de plus. Pour-
quoi se borner, quand on écrit avec tant de verve un sup-
plément aux AKHe et une Aitifs ?
2. V. supr. p. 231.
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