ESPAGNE DU HAUT MOYEN AGE.
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nord-ouest de la Péninsule n'est qu'une infinitésimale portion de leur œuvre totate, et
cependant l'on est tenté, en parcourant la longue série de ces manuscrits encore subsistants
en Espagne et hors de l'Espagne, de se demander comment les ouvriers ont pu suffire à
pareille tâche. On ne se l'explique, et on ne revient de son étonnement, qu'en se rappelant,
combien les monastères, dont chacun avait son scriptorium en activité, étaient multipliés
dans toutes les provinces des royaumes chrétiens de ce pays ; quelle foule de religieux se
pressait dans les cloîtres pour y vaquer à la prière et au travail ' ; et enfin quels nombreux
copistes une telle multitude de moines devait fournir au scriptorium de chaque monastère.
1 est à croire d'ailleurs qu'en dehors des religieux, bien d'autres
clercs se seront appliqués au même travail de transcription. Le
besoin de livres était trop grand, le prix qu'on en offrait trop
rémunérateur, pour que l'abstention volontaire et inexplicable
de quiconque pouvait se livrer à cette industrie et en recueillir
les fruits ait quelque vraisemblance. Je suis donc persuadé qu'il
existait dans les villes principales de la Castille ou de Léon,
comme autrefois dans celles du royaume de Tolède, des
au service du public, exécutant sur commande et à prix d'ar-
gent les copies d'ouvrages qu'on leur demandait. C'est de ces
officines mercantiles qu'ont dû sortir, en grande partie, les li-
vres réunis dans les bibliothèques privées dont il a été précé-
demment question; ceux que possédait saint Rosendo; les ou-
vrages que les parents de sainte Senhorine durent se procu-
rer pour l'éducation de leur fille; ou bien encore la collection
que l'infante dona Urraca donnait à l'abbaye d'Eslonza. Car,
bien que les écrivains de tel ou tel scriptorium monastique
aient parfois mis leur plume au service d'autrui, moyennant in-
demnité ou gratuitement, ce n'était là et ce ne pouvait être
qu'une très-rare exception, motivée soit par la destination finale
du manuscrit, lorsque, par exemple, dans l'intention de celui
qui le commandait et en faisait les frais, ce manuscrit devait
être appliqué à l'usage de la communauté ou de son chef; soit
par les titres tout particuliers que possédait à la complaisance
des religieux celui qui leur demandait ce service. L'histoire bi-
bliographique de Cardeha et celle de Saint-Millan nous ont déjà fourni l'exemple de ces
deux sortes d'exceptions Mais l'amour des livres dans les hautes classes de la société
1. Au ix" siècie, lors de sa destruction par les Arabes,
Cardena comptait deux cents religieux au moins, puisque
tel lut le nombre de ceux que les musulmans égorgèrent.
11 en renfermait autant au x'- siècle, lorsque Endura et
Sébastien copiaient pour leur abbé Étienne l'Exposition des
Psaumes par Gassiodore; Albelda, en 931 et 976, était ha-
bité par un nombre égal de moines, ainsi que l'atteste le
prologue de Gomez, et l'inscription métrique du manuscrit
de Vigila reproduite par Risco (Æ. s., XXXH1, p. 472) :
« Unatim post, illuc uniti jugiter ipsis, conletemur angelo-
rum eetu,
Eoo instar, turma cencics bina cenobii Albelda plurimum
[candida. x
Voir aussi ce qu'au chapitre précédent (p. 274) nous
avons raconté des monastères fondés au ix° siècle par saint
Eroylan de Léon.
2. A Cardena (nous l'avons vu précédemment), deux
moines copiaient pour leur abbé Étienne, en 949, aux
frais de Munio et de sa femme Gugina, la Décade des
Psaumes : « Divino presertim rnunere inspirante, est (ü'ns-
pM'ufMW est?) Munnioni... nobili orto genere, simul cum
conjuge clarissima Gugina... hoc peculiariter munus offer-
rent. Et obtulerunt optimum prccium ad conscribendum
librum Decade, videlicet, omnium Psalmorum... fruendum
Stepliano abbati, pastoralis cure digne ferenti ducento-
rum numéro monachorum, Caradigne in Ascisterio. « En-
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nord-ouest de la Péninsule n'est qu'une infinitésimale portion de leur œuvre totate, et
cependant l'on est tenté, en parcourant la longue série de ces manuscrits encore subsistants
en Espagne et hors de l'Espagne, de se demander comment les ouvriers ont pu suffire à
pareille tâche. On ne se l'explique, et on ne revient de son étonnement, qu'en se rappelant,
combien les monastères, dont chacun avait son scriptorium en activité, étaient multipliés
dans toutes les provinces des royaumes chrétiens de ce pays ; quelle foule de religieux se
pressait dans les cloîtres pour y vaquer à la prière et au travail ' ; et enfin quels nombreux
copistes une telle multitude de moines devait fournir au scriptorium de chaque monastère.
1 est à croire d'ailleurs qu'en dehors des religieux, bien d'autres
clercs se seront appliqués au même travail de transcription. Le
besoin de livres était trop grand, le prix qu'on en offrait trop
rémunérateur, pour que l'abstention volontaire et inexplicable
de quiconque pouvait se livrer à cette industrie et en recueillir
les fruits ait quelque vraisemblance. Je suis donc persuadé qu'il
existait dans les villes principales de la Castille ou de Léon,
comme autrefois dans celles du royaume de Tolède, des
au service du public, exécutant sur commande et à prix d'ar-
gent les copies d'ouvrages qu'on leur demandait. C'est de ces
officines mercantiles qu'ont dû sortir, en grande partie, les li-
vres réunis dans les bibliothèques privées dont il a été précé-
demment question; ceux que possédait saint Rosendo; les ou-
vrages que les parents de sainte Senhorine durent se procu-
rer pour l'éducation de leur fille; ou bien encore la collection
que l'infante dona Urraca donnait à l'abbaye d'Eslonza. Car,
bien que les écrivains de tel ou tel scriptorium monastique
aient parfois mis leur plume au service d'autrui, moyennant in-
demnité ou gratuitement, ce n'était là et ce ne pouvait être
qu'une très-rare exception, motivée soit par la destination finale
du manuscrit, lorsque, par exemple, dans l'intention de celui
qui le commandait et en faisait les frais, ce manuscrit devait
être appliqué à l'usage de la communauté ou de son chef; soit
par les titres tout particuliers que possédait à la complaisance
des religieux celui qui leur demandait ce service. L'histoire bi-
bliographique de Cardeha et celle de Saint-Millan nous ont déjà fourni l'exemple de ces
deux sortes d'exceptions Mais l'amour des livres dans les hautes classes de la société
1. Au ix" siècie, lors de sa destruction par les Arabes,
Cardena comptait deux cents religieux au moins, puisque
tel lut le nombre de ceux que les musulmans égorgèrent.
11 en renfermait autant au x'- siècle, lorsque Endura et
Sébastien copiaient pour leur abbé Étienne l'Exposition des
Psaumes par Gassiodore; Albelda, en 931 et 976, était ha-
bité par un nombre égal de moines, ainsi que l'atteste le
prologue de Gomez, et l'inscription métrique du manuscrit
de Vigila reproduite par Risco (Æ. s., XXXH1, p. 472) :
« Unatim post, illuc uniti jugiter ipsis, conletemur angelo-
rum eetu,
Eoo instar, turma cencics bina cenobii Albelda plurimum
[candida. x
Voir aussi ce qu'au chapitre précédent (p. 274) nous
avons raconté des monastères fondés au ix° siècle par saint
Eroylan de Léon.
2. A Cardena (nous l'avons vu précédemment), deux
moines copiaient pour leur abbé Étienne, en 949, aux
frais de Munio et de sa femme Gugina, la Décade des
Psaumes : « Divino presertim rnunere inspirante, est (ü'ns-
pM'ufMW est?) Munnioni... nobili orto genere, simul cum
conjuge clarissima Gugina... hoc peculiariter munus offer-
rent. Et obtulerunt optimum prccium ad conscribendum
librum Decade, videlicet, omnium Psalmorum... fruendum
Stepliano abbati, pastoralis cure digne ferenti ducento-
rum numéro monachorum, Caradigne in Ascisterio. « En-