Le lendemain tout danger semblait avoir
disparu ; notre promenade matinale nous con-
duisit à travers les taillis jusqu’au chemin creux
qui longe le bois. Les faisans s’éveillaient à
notre approche, et quelques-uns, s’élevant d’un
vol loùrd, nous effrayaient du claquement de
leurs ailes.
La haie qui clôture le parc avec ses sorbiers
aux grappes rouges dont les grives sont frian-
des, nous réservait un bien triste spectacle.
C’est là que Jean-Pierre pose ordinairement
l’attirail destructeur de ses perfides engins.
Quelques petits oiseaux se débattaient encore
sur les branches enduites d’une glu qui les re-
tenait captifs. Leurs mouvements, pour se li-
bérer, leurs battements d’ailes précipités les
empêtraient de plus en plus dans cette colle
tenace qui les retenait bientôt immobiles avec
de petits cris plaintifs qui me fendaient le cœur.
Ailleurs, sur les mêmes arbustes, le perfide
braconnier avait disposé des collets. Ces fils de
laiton, menus comme un fil, forment un nœud
coulant à travers lequel l’oiseau passe la tête
pour becqueter les fruits tentateurs. Le fil se
serre subitement et c’est pour le malheureux
volatile la mort certaine et presque instantanée.
Notre mère nous avait prévenus aussi du dan-
ger de ces lacets que Jean-Pierre dispose sour-
noisement à la sortie même de nos terriers et
au trou des haies par lesquels passent des lapins.
Un piétinement de l’herbe presque invisible,
révèle au braconnier la piste qui lui donnera
des chances de nous surprendre. Là, il tend
habilement le piège, et lorsque le lapereau
folâtre et insouciant s’élance hardiment par le
chemin familier, subitement il se sent pris au
cou par le lacet meurtrier. Effrayé, l’innocent
s’agite et de toutes ses forces tire sur ce lien
dont le nœud se resserre, de plus en plus, à
chaque secousse. C’est la mort à bref délai, au
milieu de l’herbe fraîche, entre les fleurs qui
souriaient aux premiers rayons du soleil mati-
nal. Que les hommes sont donc méchants et
qu’ils ont de moyens pour nuire aux pauvres
lapins ! Nous ne leur demandons pourtant, dans
un com de bois, qu’une touffe de thym sau-
vage, quelques fleurs de trèfle et un rayon de
soleil !
Ces spectacles de mort que nous avions sous
les yeux m’avaient jeté dans de graves pensées
et je ne jouissais plus des parfums de ce matin
si clair et si prometteur d’une heureuse jour-
née. Les tilleuls, pourtant, élevaient dans un
ciel serein leur large couronne de feuilles au
reflet d’argent et leurs nombreuses grappes de
fleurs à l’odeur entêtante que les abeiiies re-
connaissent de loin. Tout un essaim bourdon-
nait déjà dans les branches fleuries et cette mu-
sique aérienne me fit oublier, pour un moment,
la mort cruelle des petits oiseaux. La vie et le
travail, avec sa joie pure et réconfortante, se
mêlent ainsi aux inévitables deuils et aux tris-
tesses de chaque jour.
Les fraisiers, les framboisiers sauvages aux
fruits déjà mûrs offraient à nos regards un
mélange exquis de toutes les variétés du rouge
mêlées aux plus rares nuances du vert et du
pourpre. Les chèvrefeuilles enlacés aux jeunes
arbustes balançaient, sous la brise, leurs cas-
solettes de parfums délicats dont l’air, autour
de nous, était saturé.
Soudain un bruit inaccoutumé vint frapper
mes oreilles. Là-bas, de grands coups retentis-
saient, qui se répercutaient lugubrement dans
les profondeurs du bois. Au premier mouve-
ment d’inquiétude succéda bientôt la curiosité
la plus vive, et je me dirigeai, de toute ma
vitesse, vers l’endroit d’où venait le bruit.
Blotti parmi les ronces et les herbes hautes je
pus découvrir ce qui se passait. Un homme
vigoureux, les bras nus, armé d’une hache
énorme où le soleil mettait des éclairs, frappait
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