Le dessin à l'école et dans la famille: revue d'éducation esthétique (1.1922/1923)

Encore la chèvre de mère Séraphine.
Le danger n’était point grave. Un spectacle
plutôt comique me divertit un moment. La
chèvre de la mère Séraphine gambadait sur la
pelouse à proximité de notre terrier ; avec des
sauts comiques de côté comme en font les sujets
de la race caprine, elle semblait se jouer de ses
poursuivantes parmi lesquelles je reconnus bien
vite ma protectrice, Andrée, et sa petite sœur
auprès de Louise la charitable fille de mère
Séraphine.
Tantôt la chèvre bondissante et joyeuse, se
livrant à une course rapide, disparaissait der-
rière la vieille tour et, d’un saut léger de ses
maigres jambes, escaladait les troncs d’arbres
morts amassés là depuis l’été. Là-haut, le nez
en l’air, la barbiche au vent, son œil noir bril-
lant sous ses sombres paupières, elle semblait
défier malicieusement ses amies qui l’appro-
chaient avec des paroles aimables pour la cal-
mer. Un bond fantasque la ra-
menait sur le sol où, par de nou-
velles cabrioles, elle échappait
aux mains tendues pour la rete-
nir.
Ce manège durait depuis long-
temps déjà. Andrée s’en amu-
sait beaucoup, mais Louise finit
par se lasser. La bonne hile son-
geait à sa mère infirme qui avait
signalé le départ de la chèvre et
s’inquiétait, bien sûr, de la lon-
gue absence des enfants.
Le capricieux animal ne son-
geait qu’à se divertir. Un mo-
ment je crus qu’Andrée, la main
déjà sur le bout de longe qui pen-
dait au cou de la chèvre, parviendrait à la sai-
sir. Il n’en fut rien encore. D’un virement
brusque, d’un bond rapide, la fugitive se jeta

sur le côté et s’enfuit, de toute sa vitesse, vers
les taillis. Les enfants la suivirent, inquiètes et
ennuyées ; je m’élançai moi-même dans cette
direction parce que l’aventure semblait devenir
sérieuse. Dans l’enchevêtrement des branches
dépouillées, la chèvre ne trouvait pas la liberté
de ses mouvements; les rameaux d’aulne mêlés
aux touffes des noisetiers, les multiples enla-
cements des tiges de houblon et de chèvre-
feuille la retenaient.
Un moment elle prit le sentier et regagna
l’avance perdue sur ses poursuivantes. Un
homme qui venait par le même chemin l’ef-
fraya ; de nouveau rejetée dans le taillis elle
s’embarrassa les cornes. Le passant saisit rapi-
dement 1a. corde pendante, et d’une main ferme
maîtrisa la vagabonde. Les jeunes hiles arri-
vaient ; elles avaient vaguement entrevu la
scène, mais lorsqu’elles aperçurent devant elles
le jeune homme ramenant la chèvre, un même
cri s’échappa de leurs lèvres : Chariot !


La bonne Louise, interdite et émue, après
une courte hésitation, s’élança vers son frère
qui lui revenait. La conduite peu sérieuse de

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