LES DESSINS I)E LOUIS DWII).
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inspiré par la figure du licteur que Ton voit au premier plan dans le ta-
bleau de l'Enlèvement des Sabines, du Poussin. Cette supposition peut
avoir quelque fondement; mais il est certain que l'idée à laquelle le peintre
s'est arrêté ne lui est pas venue tout d'un coup. A en juger seulement'
par la gravure et le dessin que je viens de citer, David n'aurait saisi
qu'après beaucoup de tâtonnements l'attitude définitive de ses héros. En
outre, d'intéressants cahiers de croquis (l'un chez M. Ambroise-Firmin
Didot, l'autre donné par M. de Chennevières au musée d'Alençon) indi-
quent les diverses phases que sa pensée a traversées. Le dessin gravé
laisse voir encore de l'indécision dans l'attitude du vieil Horace et dans
celle du fils aîné. David n'exécutait aucune œuvre sans avoir été guidé
par une réflexion profonde, au point qu'il était devenu malhabile à faire
des croquis; c'est ce qu'on voit par la négligence de ses premières com-
positions. S'il se privait ainsi de cet entrain et de ce mouvement auxquels
on reconnaît les créations faites de verve, il y gagnait une maturité et
une assurance que la facilité banale de l'improvisation ne parvient jamais
à simuler.
Les premiers âges de la Grèce et de Rome, aux plus grandes pages de
leur histoire, avaient, jusqu'en 1788, fourni au maître ses plus beaux
sujets. Il en avait compris les côtés austères et virils, sans se montrer
jamais attendri. A peine dans quelques figures de femmes laissait-il entre-
voir un sentiment moins rude, mais en l'atténuant comme à dessein, et
en le reléguant pour ainsi dire au second plan. Cependant 89 était proche,
un grand mouvement intellectuel et philosophique avait préparé le chan-
gement des destinées humaines ; tous les esprits en étaient pénétrés, et
David semble* avoir aperçu l'aube du jour nouveau, quand il a conçu le
tableau qui est son chef-d'œuvre au point de vue de la composition :
la Mort de Socrate. Ce tableau était destiné à M. de Trudaine.
Ici nous n'assistons plus à un drame en mouvement; tout se passe
dans le repos des attitudes, car c'est un sage qui va mourir. M. Delécluze,
dans son livre sur David, nous apprend que la première idée Su peintre
avait été de peindre Socrate tenant la coupe que lui présentait le bour-
reau ; mais ce fut André Chénier qui lui dit : « Non, non Socrate, tout entier
aux grandes pensées qu'il exprime, doit étendre la main vers la coupe ;
mais il ne la saisi raque quand il aura fini de parler. » — « Quelle scène et
quels contrastes'. » dit aussi à propos de ce tableau, l'auteur de Y Histoire
desPeintres, « le bourreau est plus ému que la victime. » En effet, l'atten-
drissement de l'esclave est révélé par le geste et l'attitude; cette toile est
au niveau de celle même du Poussin, et l)a\ id a su grandir j usqu'à ce maître.
Je n'ai pas besoin d'essayer ici, après beaucoup d'écrivains éminents,
a
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inspiré par la figure du licteur que Ton voit au premier plan dans le ta-
bleau de l'Enlèvement des Sabines, du Poussin. Cette supposition peut
avoir quelque fondement; mais il est certain que l'idée à laquelle le peintre
s'est arrêté ne lui est pas venue tout d'un coup. A en juger seulement'
par la gravure et le dessin que je viens de citer, David n'aurait saisi
qu'après beaucoup de tâtonnements l'attitude définitive de ses héros. En
outre, d'intéressants cahiers de croquis (l'un chez M. Ambroise-Firmin
Didot, l'autre donné par M. de Chennevières au musée d'Alençon) indi-
quent les diverses phases que sa pensée a traversées. Le dessin gravé
laisse voir encore de l'indécision dans l'attitude du vieil Horace et dans
celle du fils aîné. David n'exécutait aucune œuvre sans avoir été guidé
par une réflexion profonde, au point qu'il était devenu malhabile à faire
des croquis; c'est ce qu'on voit par la négligence de ses premières com-
positions. S'il se privait ainsi de cet entrain et de ce mouvement auxquels
on reconnaît les créations faites de verve, il y gagnait une maturité et
une assurance que la facilité banale de l'improvisation ne parvient jamais
à simuler.
Les premiers âges de la Grèce et de Rome, aux plus grandes pages de
leur histoire, avaient, jusqu'en 1788, fourni au maître ses plus beaux
sujets. Il en avait compris les côtés austères et virils, sans se montrer
jamais attendri. A peine dans quelques figures de femmes laissait-il entre-
voir un sentiment moins rude, mais en l'atténuant comme à dessein, et
en le reléguant pour ainsi dire au second plan. Cependant 89 était proche,
un grand mouvement intellectuel et philosophique avait préparé le chan-
gement des destinées humaines ; tous les esprits en étaient pénétrés, et
David semble* avoir aperçu l'aube du jour nouveau, quand il a conçu le
tableau qui est son chef-d'œuvre au point de vue de la composition :
la Mort de Socrate. Ce tableau était destiné à M. de Trudaine.
Ici nous n'assistons plus à un drame en mouvement; tout se passe
dans le repos des attitudes, car c'est un sage qui va mourir. M. Delécluze,
dans son livre sur David, nous apprend que la première idée Su peintre
avait été de peindre Socrate tenant la coupe que lui présentait le bour-
reau ; mais ce fut André Chénier qui lui dit : « Non, non Socrate, tout entier
aux grandes pensées qu'il exprime, doit étendre la main vers la coupe ;
mais il ne la saisi raque quand il aura fini de parler. » — « Quelle scène et
quels contrastes'. » dit aussi à propos de ce tableau, l'auteur de Y Histoire
desPeintres, « le bourreau est plus ému que la victime. » En effet, l'atten-
drissement de l'esclave est révélé par le geste et l'attitude; cette toile est
au niveau de celle même du Poussin, et l)a\ id a su grandir j usqu'à ce maître.
Je n'ai pas besoin d'essayer ici, après beaucoup d'écrivains éminents,
a