Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (7.1860)

CHRONIQUE VÉNITIENNE

LE MUSÉE GORRER1

Le premier jour de janvier, l'année 1830, Teodoro Gorrer, Vénitien et
l'un des derniers en ligne directe de cette illustre famille patricienne qui
donna à l'Église un pape et à la sérénissime république de Venise de
nombreux capitaines de guerre, des procurateurs de Saint-Marc, des
sénateurs et des ambassadeurs pendant le cours de tant de siècles, Teo-
doro Gorrer, dis-je, fit un testament. De manu propriâ, il léguait à sa
patrie vénérée le gage précieux du persévérant amour que, dans sa
longue carrière, il avait partagé entre les œuvres d'art et les objets de ce
culte qui, depuis peu d'années, a été définitivement et judicieusement
consacré sous le nom de Guriosité. Ce gage précieux est le musée où la
Venise du passé est si heureusement représentée par la variété et le
genre de ces choses aux formes tantôt délicates et pures, tantôt bizarres
et maniérées, mais originales toujours, qu'elle excellait à produire. Le
Museo Correr est donc spécialement, entre tous les musées, un musée
vénitien, non pas seulement en raison de la qualité vénitienne de son
créateur et par celle du lieu qu'il occupe, mais bien plus encore par l'ori-
gine essentielle et par le caractère des principaux objets qu'il renferme.

Jusqu'à présent, cette collection charmante était restée privée de ce
qu'on pourrait appeler le livre d'or indispensable à toute collection
sérieuse, je veux dire un catalogue assez raisonné pour que le lecteur
comprenne rapidement que le bon sens clans la critique et le goût vrai
dans l'art y ont eu le pas sur les ridicules bavardages et les sottes excla-

1. Notizia délie opère d'arte e d'antichità délia raccolta Correr di Venezia,
scritta du Vinrenzo Lazari. I vol. in-8°.