CORRESPONDANCE DE LONDRES
Londres, 5 juin 1868.
EXPOSITIONS D’AQUARELLES
ET DE LA SOClÉTl'i DES ARTISTES BRITANNIQUES.
e mois de mai est ici pour l’artiste, le curieux et le critique ce qu’on
appelle un « busy monlli. » Ce ne sont partout qu’expositions des
sociétés, instituts ou clubs, lectures, meetings, etc. Dans l’art comme
en tout, l’activité ne fait point défaut; pour une cause ou pour une
autre, cette portion du public, que nous appelons « tout le monde, » ne
manque point de se rendre à toutes ces réunions, et il n’est point d’un médiocre intérêt
parfois de prêter l’oreille à ce qui se dit autour de soi. En règle générale, chacun ici « is
fond of art, » c’est moins qu’aimer et cependant plus qu’éprouver un penchant; cela
n’implique point qu’on s’y connaisse, qu’on soit à même déjuger réellement du mérite
d’une œuvre; n’importe, on en parle tout comme ; les femmes surtout. On s’attache
principalement à deux choses : à l’envoi de l’artiste connu d'abord, que ce soit bon ou
mauvais, rien n’y fait, le nom est là, on admire ; puis au sujet, il n’y a rien de tel
qu’une mère qui berce son enfant; qu’une jeune fille, un roman sous le bras, en train
d’effeuiller une marguerite; qu’une fillette jouant avec une poupée; qu’un premier
gage d’amour; que le thé des enfants et autres compositions rappelant mille incidents
de la vie intime. Bon ou mauvais, cela arrache des exclamations presque enthousiastes:
c’est « charming, lovely, delighlpel. » Mais respectons ces témoignages naïfs d’admi-
ration, laissons au temps le soin de les épurer, le jugement se formera peu à peu, le
goût existe, il ne s’agit que de le diriger.
La Société des peintres à l’aquarelle en est à sa 64e exposition; ce ne sont plus
comme en novembre dernier des études, mais des compositions terminées; nous ne
sommes plus, en quelque sorte, dans l’intimité de l’artiste, mais en présencè de l’œuvre
où il a concentré toute sa science. Disons-le de suite, dans les grandes aquarelles soi-
gneusement achevées, on sent la fatigue de l’esprit et de la main; le soigné timide et
laborieux a remplacé l’imprévu, la pensée et la vigueur de la touche; l’individualité a
presque disparu, en un mot on sent l’œuvre faite en vue du concours, du public et de
Londres, 5 juin 1868.
EXPOSITIONS D’AQUARELLES
ET DE LA SOClÉTl'i DES ARTISTES BRITANNIQUES.
e mois de mai est ici pour l’artiste, le curieux et le critique ce qu’on
appelle un « busy monlli. » Ce ne sont partout qu’expositions des
sociétés, instituts ou clubs, lectures, meetings, etc. Dans l’art comme
en tout, l’activité ne fait point défaut; pour une cause ou pour une
autre, cette portion du public, que nous appelons « tout le monde, » ne
manque point de se rendre à toutes ces réunions, et il n’est point d’un médiocre intérêt
parfois de prêter l’oreille à ce qui se dit autour de soi. En règle générale, chacun ici « is
fond of art, » c’est moins qu’aimer et cependant plus qu’éprouver un penchant; cela
n’implique point qu’on s’y connaisse, qu’on soit à même déjuger réellement du mérite
d’une œuvre; n’importe, on en parle tout comme ; les femmes surtout. On s’attache
principalement à deux choses : à l’envoi de l’artiste connu d'abord, que ce soit bon ou
mauvais, rien n’y fait, le nom est là, on admire ; puis au sujet, il n’y a rien de tel
qu’une mère qui berce son enfant; qu’une jeune fille, un roman sous le bras, en train
d’effeuiller une marguerite; qu’une fillette jouant avec une poupée; qu’un premier
gage d’amour; que le thé des enfants et autres compositions rappelant mille incidents
de la vie intime. Bon ou mauvais, cela arrache des exclamations presque enthousiastes:
c’est « charming, lovely, delighlpel. » Mais respectons ces témoignages naïfs d’admi-
ration, laissons au temps le soin de les épurer, le jugement se formera peu à peu, le
goût existe, il ne s’agit que de le diriger.
La Société des peintres à l’aquarelle en est à sa 64e exposition; ce ne sont plus
comme en novembre dernier des études, mais des compositions terminées; nous ne
sommes plus, en quelque sorte, dans l’intimité de l’artiste, mais en présencè de l’œuvre
où il a concentré toute sa science. Disons-le de suite, dans les grandes aquarelles soi-
gneusement achevées, on sent la fatigue de l’esprit et de la main; le soigné timide et
laborieux a remplacé l’imprévu, la pensée et la vigueur de la touche; l’individualité a
presque disparu, en un mot on sent l’œuvre faite en vue du concours, du public et de