Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (2.Pér. 7.1873)

UN COLLECTIONNEUR DE L’AN VI

i l’on vous avait dit qu’il existait depuis
tantôt un siècle, au cœur de Paris, à deux
pas des Tuileries, à trois cents mètres du
boulevard, une collection exquise et à ce
point inconnue que Y Annuaire de la
Gazette des Beaux-Arts n’en fait pas
même mention, vous auriez répondu par
le sourire le plus incrédule; jamais vous
n’eussiez consenti à admettre que toute
une nichée de toiles des plus remarquables
pût demeurer pendant de longues années
complètement oubliée dans cette grande ville si artiste, où l’on est fure-
teur jusqu’à la passion la plus indiscrète quand il s’agit de découvrir
quelque tableau précieux, quelque bibelot extraordinaire, quelque splen-
dide tapisserie, un meuble d’une belle tournure, le moindre bronze du
xvie siècle ou bien une épreuve signée des noms illustres de Marc-
Antoine ou de Rembrandt. Et cependant nous avons tous passé et
repassé mille fois rue Castiglione sans nous douter qu’il y avait là près
de deux cents tableaux conservés avec un soin jaloux par leur heureux '
possesseur, qui les aimait pour eux- mêmes et n’avait rien de commun
avec cette race toute moderne de pseudo-connaisseurs qui dissimulent
sous des apparences de Mécène le madré spéculateur préparant sournoi-
sement sa vente et ne perdant pas un seul instant de vue le bénéfice qu’il
poursuit avec un pieux acharnement, — par amour de l’Art.

M. Papin avait, sans pose ni grandes phrases aussi creuses que
sonores, le fanatisme de la peinture; c’était chez lui passion de famille;
il a laissé un fort intéressant relevé de ses tableaux dans lequel se trouve
mentionnée une acquisition de son père en date du 1er septembre 1777.
Aujourd’hui tout bon bourgeois qui se donne sa douzaine de tableautins