Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (2.Pér. 7.1873)

L’ŒUVRE D’EUGÈNE DELACROIX

l y aura bientôt dix ans que s’est
éteinte, comme une lampe privée
d’huile, la merveilleuse organisation,
génie étincelant, âme de feu, qui fut
Delacroix, et déjà il semble que ce
champion du romantisme, dont le nom
seul soulevait des tempêtes, soit entré
dans ces régions sereines de l’histoire
au seuil desquelles viennent mourir
les attaques passionnées de la critique
et de l’envie. Ce n’est pas pour lui
qu’a été écrit le mot de la ballade « les morts vont vite ». En dix ans les
haines et les dédains se sont calmés, mais l’oubli et l’indifférence, ces
lèpres de notre société égoïste et affamée de jouissances nouvelles, ne
sont point venus. Non-seulement le consentement universel l’a mis au
nombre de ceux qui font le plus d’honneur au siècle et à la France, non-
seulement la valeur commerciale de ses tableaux s’est brusquement élevée
à la hauteur qu’elle aurait toujours dû avoir, mais encore tout ce qui
touche à l’homme ou à son œuvre est avidement recueilli et écouté.

Hier, une main pieuse, celle de M. Piron, son légataire universel,
réunissait dans un beau volume ces écrits épars du maître, ces articles
si caractéristiques et si curieux dans leur forme mesurée et finement lit-
téraire, dans leur critique judicieuse, presque austère, et qui jettent une
lumière si imprévue sur ses opinions d’homme du monde, instruit, déli-
cat, conciliant, si différentes des opinions militantes de l’artiste. Aujour-
d’hui, c’est M. Adolphe Moreau qui, restant toujours, au milieu des sou-
cis et des charges de sa haute situation, l’homme de goût et le curieux

Catalogue raisonné cle l’œuvre d'Eugène Delacroix, par M. Adolphe Moreau.
Un vol. in-8, Paris, Jouaust, '1873.