SALON DE 1873.
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imaginé produire un puissant effet dramatique en faisant avancer vers les
victimes l’ombre d’un lion qui n’est pas dans la toile, ni sur les grandes
décorations destinées par M. Athanase Grellet à la cathédrale de Beau-
vais, Multum orat pro ci vitale, et le Siège, de Beauvais en 1472. Ces
divers ouvrages, exécutés avec conscience, dans les données connues, n’an-
noncent point une rénovation de l’art religieux.
Puisque nous en sommes aux sujets bibliques, ou soi-disant tels,
n’est-ce pas le cas de parler sur le champ d’un tableau étrange, conçu par
une imagination malsaine et exécuté par une main habile, qui porte en
effet un titre emprunté à l’Ecriture, la Dalila de M. Humbert? Voici un
Parisien, celui-là, qui agit tout au rebours de M. Merson et de M. Gau-
tier; il ne risquera jamais de se perdre, à propos de livres saints, dans les
bric-à-brac de l’archéologue; son principe de rénovation est simple :
prendre un sujet antique et le traiter avec des figures modernes,
dans un style moderne, le plus parisien qui soit, voilà toute la recette.
L’an dernier, son petit Saint Jean, qu’on remarqua pour ses qualités
d’exécution délicates, n’était déjà qu’un gavroche malingre et fiévreux,
auquel l’artiste, en le déshabillant, avait donné une certaine expression
d’enthousiasme maladif et de sauvagerie hagarde. Cette année, il a per-
sonnifié Samson et Dalila, ces deux personnages poétiques qui repré-
sentent à la pensée la lutte éternelle de la force et de la beauté, en
une catin de boulevard et un coureur de mauvais lieux. Aux propor-
tions où l’a réduit M. Humbert, ce grand drame de l’élu de Dieu livré
aux Philistins par la volupté victorieuse, se réduit à un épisode d’al-
côve, et quel épisode, et quelle alcôve! L’expression ne manque pas,
tant s’en faut, une expression honteuse, ignoble, écœurante, à cette hor-
rible fille, maigre, lymphatique et froide, qui fait sa besogne accoutumée
avec une si épouvantable tranquillité; mais des proportions naturelles,
données à une figure semblable, si repoussante dans sa nudité insalubre,
révolteraient déjà, s’il s’agissait d’une scène contemporaine : que dire dans
le cas présent? Le Samson est un héros aussi piètre que la Dalila est une
piètre séductrice. Ce malheureux gars, perdu de vices depuis l’enfance,
qui gît là, les lèvres pendantes, efflanqué, éreinté, sur la cuisse flasque
de sa stupide complice, n’a jamais eu, dans ses pauvres cheveux roux,
d’autres forces que celles qu’il faut pour se traîner du lit à l’estaminet,
et de l’estaminet au lit. N’insistons pas là-dessus ; il serait trop facile de
montrer, par tous les détails, que le titre donné à ce tableau n’est qu’une
puérilité ou une plaisanterie. L’esclave, vêtue à l’orientale, qui tend
à sa maîtresse des ciseaux comme on tendrait des mouchettes, est si bien
venue là après coup que Dalila, préoccupée' de l’effet produit sur le
VII. — 2e PÉRIODE. 62
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imaginé produire un puissant effet dramatique en faisant avancer vers les
victimes l’ombre d’un lion qui n’est pas dans la toile, ni sur les grandes
décorations destinées par M. Athanase Grellet à la cathédrale de Beau-
vais, Multum orat pro ci vitale, et le Siège, de Beauvais en 1472. Ces
divers ouvrages, exécutés avec conscience, dans les données connues, n’an-
noncent point une rénovation de l’art religieux.
Puisque nous en sommes aux sujets bibliques, ou soi-disant tels,
n’est-ce pas le cas de parler sur le champ d’un tableau étrange, conçu par
une imagination malsaine et exécuté par une main habile, qui porte en
effet un titre emprunté à l’Ecriture, la Dalila de M. Humbert? Voici un
Parisien, celui-là, qui agit tout au rebours de M. Merson et de M. Gau-
tier; il ne risquera jamais de se perdre, à propos de livres saints, dans les
bric-à-brac de l’archéologue; son principe de rénovation est simple :
prendre un sujet antique et le traiter avec des figures modernes,
dans un style moderne, le plus parisien qui soit, voilà toute la recette.
L’an dernier, son petit Saint Jean, qu’on remarqua pour ses qualités
d’exécution délicates, n’était déjà qu’un gavroche malingre et fiévreux,
auquel l’artiste, en le déshabillant, avait donné une certaine expression
d’enthousiasme maladif et de sauvagerie hagarde. Cette année, il a per-
sonnifié Samson et Dalila, ces deux personnages poétiques qui repré-
sentent à la pensée la lutte éternelle de la force et de la beauté, en
une catin de boulevard et un coureur de mauvais lieux. Aux propor-
tions où l’a réduit M. Humbert, ce grand drame de l’élu de Dieu livré
aux Philistins par la volupté victorieuse, se réduit à un épisode d’al-
côve, et quel épisode, et quelle alcôve! L’expression ne manque pas,
tant s’en faut, une expression honteuse, ignoble, écœurante, à cette hor-
rible fille, maigre, lymphatique et froide, qui fait sa besogne accoutumée
avec une si épouvantable tranquillité; mais des proportions naturelles,
données à une figure semblable, si repoussante dans sa nudité insalubre,
révolteraient déjà, s’il s’agissait d’une scène contemporaine : que dire dans
le cas présent? Le Samson est un héros aussi piètre que la Dalila est une
piètre séductrice. Ce malheureux gars, perdu de vices depuis l’enfance,
qui gît là, les lèvres pendantes, efflanqué, éreinté, sur la cuisse flasque
de sa stupide complice, n’a jamais eu, dans ses pauvres cheveux roux,
d’autres forces que celles qu’il faut pour se traîner du lit à l’estaminet,
et de l’estaminet au lit. N’insistons pas là-dessus ; il serait trop facile de
montrer, par tous les détails, que le titre donné à ce tableau n’est qu’une
puérilité ou une plaisanterie. L’esclave, vêtue à l’orientale, qui tend
à sa maîtresse des ciseaux comme on tendrait des mouchettes, est si bien
venue là après coup que Dalila, préoccupée' de l’effet produit sur le
VII. — 2e PÉRIODE. 62