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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 32.1885

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Nr. 1
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Michel, André: Le Salon de 1885, 3
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https://doi.org/10.11588/diglit.24593#0014

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

réservé dans l’École moderne la place des rêveurs. Mais ce n’est rien
de rêver, si l’on ne sait pas peindre son rêve, en faire, par la couleur,
une réalité vivante et pittoresque. L’art, pour être évocateur et
suggestif, doit d’abord être une réalisation. Une brioche de Philippe
Rousseau, un morceau de fromage de Chardin, un chaudron de
Vollon, m’émeuvent davantage en peinture que les plus belles pensées
mal peintes. Et de même que ce n’est pas à cause du fromage, de la
brioche ou du chaudron que nous admirons un Chardin, un Yollon,
un Rousseau, nous restons froid devant une grande toile où le peintre
laisse languir sous sa main trop timide ou trop faible des formes
héroïques ou des symboles grandioses : Illacrymabiles, carent quia
vate sacro.

Peignez-nous ce que vous voudrez, mais ne comptez jamais sur la
vertu propre du sujet, pour fonder la valeur de votre œuvre. Non pas
que l’habileté de la main puisse suffire et que tout réside dans le
métier. Mais, pour le peintre, penser c’est voir d’une certaine
manière; l’idée, en tant qu’elle intéresse son art, en s’éveillant dans
son cerveau, doit y évoquer en même temps la forme qu’elle revêtira
et qui la contiendra; elle se fait matérielle et sensible. Il puise dans
la nature, comme un écrivain dans le vocabulaire, les expressions
les plus propres à la traduire ; son rêve n’existe que dans la mesure
où il le voit et sait le faire voir; à chaque nuance de sa pensée, à
chaque frémissement de sa sensibilité doit correspondre une allure
particulière de son outil et de sa main, si bien qu’on peut suivre
dans les détails de sa facture les moindres incidents du travail inté-
rieur, les absences et les retours soudains de l’inspiration, les silences
et les réveils de la volonté.

On ne pouvait s’attendre à ce qu’un portraitiste tel queM. Donnât
s’intéresserait beaucoup à une histoire de décapité. On voit bien
qu’il est habitué « à parler à des visages »; des corps sans tête ne
pouvaient pas lui inspirer grand’chose. Appelé à représenter, sur les
murs du Panthéon, le Martyre de saint Denis, il a peint— on a pu voir
avec quelle solidité et quelle autorité — un bourreau, vigoureux
gaillard, robuste portefaix de Bayonne, une toge, une hache, un
billot et du sang à profusion ; — sa peinture loyale et puissante, qui ne
laisse jamais place à aucune incertitude, nous dit sans détours que
l’éminent artiste n’a pas été fort ému par ce supplice ni passionné
par ce miracle. Ceux qui lui ont demandé d’en écrire une version
nouvelle devaient d’ailleurs le prévoir; mais ni l’histoire de saint
Denis ne pouvait sans doute dans la pensée du marquis de Chenne-
 
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