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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 32.1885

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Nr. 1
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Lostalot, Alfred de: Revue musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24593#0093

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

L’opéra de Sigurd est écrit depuis vingt ans; pour franchir les portes de
l’Académie de musique, il a fallu qu’il nous vînt de l’étranger, précédé du
bruit des applaudissements qui l’avaient accueilli. Et encore Paris ne
l’aura-t-il connu qu’après la province ; de Bruxelles, où il fut représenté
pour la première fois le 7 janvier 1884, Sigurd est allé tout droit à Lyon qui
Ta reçu avec honneur. Le voici maintenant installé sur « notre première
scène lyrique»; puisse-t-il y faire un long séjour !

Le livret de MM. Camille du Locle et Alfred Blau est emprunté à la
mythologie Scandinave dont certaines fables présentent une étroite analogie
avec l’épopée allemande chantée par Richard Wagner. Le héros de M. Reyer
avait déjà inspiré un drame épique à Lamothe-Fouqué, en 1808; c’est une
sorte d’Achille du Nord, un personnage.surhumain, naïf, vigoureux et
chaste, dont les exploits n’exciteront jamais chez nous un bien vif enthou-
siasme. « 11 a du courage comme cent lions », disait plaisamment Henri
Heine, « et de l’esprit comme deux ânes. »

Nous croyons inutile de raconter les aventures de ce bellâtre; c’est un
conte à dormir debout : l’éternelle histoire de l’homme aimé de deux
femmes et de la femme aimée de deux hommes, que nous avons entendue
dans presque tous les opéras, ne gagne pas à se dérouler dans un milieu de
féerie; les passions de ces héros surnaturels ne sauraient nous émouvoir;
nous ajouterons qu’elles ne nous semblent pas de nature à exciter la verve
d’un musicien, à moins qu’il ne veuille se borner au genre descriptif, et Ton
est à peu près d’accord pour reconnaître que ce genre ne convient pas à
l’opéra. Mozart et Weber ont, il est vrai, tiré un excellent parti de sujets
empruntés à la féerie, mais ils se sont bien gardés de les prendre au sérieux.
Le tort du livret de Sigurd est d’exposer des épisodes d'un drame véritable-
ment humain, et qui devrait être émouvant, dans un cadre de fantaisie qui
n’intéresse que l’esprit; cette contradiction persistante peut sans doute
fournir au musicien l’occasion d’essayer des contrastes de coloris qui char-
meront les gens du métier, mais l’œuvre de théâtre a plus à perdre qu’à
gagner à ces jeux de mise en scène musicale.

« Qui nous délivrera des Grecs et des Romains? » disait-on autrefois; la
chose est faite, mais nous ne gagnons pas au change. Je ne crois pas, cepen-
dant, que nous soyons condamnés à subir longtemps la tyrannie des héros
Scandinaves et germaniques. Le public s’en montre fatigué, dès la première
entrevue. Attendons-nous à voir sous peu chansonner la Belle Valkyrie,
comme le fut autrefois la Belle Hélène. La race n’est pas éteinte des gens
d’esprit qui ne respectent rien, non plus que celle des Schneider, des Dupuis
et des Léonce pour incarner les demi-dieux de l’Olympe septentrional. Le
musicien qui renouvellera la farce d’Offenbach aura beau jeu, du reste, s’il
veut écrire dans le style moderne. Voyez-vous ces nouveauxAjax marchant
à la conquête de la Valkyrie escortés chacun de son leitmotive comme un
aveugle de son chien? Et les amusants costumes sans qu’il soit besoin de
rien changer aux originaux de Bayreuth ou de l’Opéra !

Si le poème de Sigurd et les costumes sont d’importation étrangère, je
dois déclarer que la musique de M. Reyer m’a semblé bien française, d’esprit
sinon de tournure; l’orchestration en est très chargée, très travaillée; les
 
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