REVUE MUSICALE.
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temporaire aura-t-il la vertu de vivifier notre Académie nationale qui depuis
longtemps sommeille, comme la Valkyrie, et sans doute parce qu’elle a
mécontenté le dieu de la musique.
L’Opéra-Comique vient de remettre à la scène un ouvrage de M. Gondinet,
musique de M. Delibes, dont la première représentation avait été donnée le
24 mai 1873: ce jour-là, les préoccupations politiques étaient telles, que le
mérite de cet ouvrage passa inaperçu : on le condamna sans l’avoir entendu.
Le Roi l’a dit obtient justice aujourd’hui. Le livret, le poème plutôt, car il est
en vers libres, est coupé sur un patron d’opérette un peu démodé maintenant,
mais on l’écoute sans fatigue; quant à la musique, elle est bien faite pour
accompagner le livret. M. Delibes a employé les rythmes sautillants qui lui
réussissent à merveille quand il écrit un ballet; sa gaîté est toute de
facture; on y chercherait vainement ces trouvailles de sentiment, de grâce
sans apprêt, qui sont la raison du succès de tous les opéras-comiques restés
au répertoire. On sent à chaque instant que le musicien s’amuse lui-même de
ce qu’il écrit; la conviction et, partant, l’inspiration ne se montrent qu’à de
rares intervalles. Ce sont d’aimables bagatelles, bien présentées du reste,
car M. Delibes est un musicien fort habile et d’une instruction solide.
Dans le Roi l’a dit, nous ne voyons pas la renaissance du genre opéra-
comique : ni la pièce ni la musique ne sont conçues d’après les données
traditionnelles. L’amour qu’on y chante manque de sérieux; il conduit à des
mariages de rencontre auxquels personne ne s’intéresse, ni sur la scène ni
dans la salle. Ce n’en est pas moins une oeuvre de bonne humeur, et elles
sont trop rares pour que le public ne lui fasse pas un bon accueil.
L’interprétation est excellente : M. Carvalho, nous l’avons dit bien des
fois, a une troupe d’artistes absolument remarquables; leur nombre et leur
variété lui permettent de faire face à toutes les exigences des compositeurs,
quel que soit le caractère des partitions qu’on lui apporte; c’est à eux de lui
faire de bonne musique. On a beaucoup applaudi MM. Fugère et Grivot,
deux comédiens d’un talent supérieur; le premier a, en outre, une excellente
voix de baryton. Le ténor, M. Degenne, et la soubrette, Mlle Merguillier,
tiennent bien leurs rôles. Notons enfin un charmant essaim de jeunes filles,
les unes en travesti galant, les autres en pensionnaires; leurs allées et
venues, parfaitement inutiles à la pièce, relèvent de la poétique de l’opérette,
mais il est incontestable qu’on a du plaisir à les voir et même à les entendre.
Nous ne terminerons pas cet article sans rappeler la représentation
d’adieu donnée par Mme Miolan-Carvalho, avec le concours des artistes
les plus distingués des théâtres de Paris. Mmo Carvalho a été la plus grande
cantatrice française de la seconde moitié de ce siècle; elle a laissé une
marque ineffaçable sur tous les rôles qu’elle a créés, et particulièrement sur
le rôle de Marguerite de Faust, qui reste sa création la plus parfaite. Ses
débuts remontent â l’année 1849, le jour même de la retraite de Duprez
qui fut son professeur. Mme Carvalho emporte dans sa retraite l’admiration
de tous ceux qui l’ont entendue pendant sa longue et glorieuse carrière
d’artiste.
xxxii. — 2e PÉRIODE.
ALFRED DE LOSTALOT.
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temporaire aura-t-il la vertu de vivifier notre Académie nationale qui depuis
longtemps sommeille, comme la Valkyrie, et sans doute parce qu’elle a
mécontenté le dieu de la musique.
L’Opéra-Comique vient de remettre à la scène un ouvrage de M. Gondinet,
musique de M. Delibes, dont la première représentation avait été donnée le
24 mai 1873: ce jour-là, les préoccupations politiques étaient telles, que le
mérite de cet ouvrage passa inaperçu : on le condamna sans l’avoir entendu.
Le Roi l’a dit obtient justice aujourd’hui. Le livret, le poème plutôt, car il est
en vers libres, est coupé sur un patron d’opérette un peu démodé maintenant,
mais on l’écoute sans fatigue; quant à la musique, elle est bien faite pour
accompagner le livret. M. Delibes a employé les rythmes sautillants qui lui
réussissent à merveille quand il écrit un ballet; sa gaîté est toute de
facture; on y chercherait vainement ces trouvailles de sentiment, de grâce
sans apprêt, qui sont la raison du succès de tous les opéras-comiques restés
au répertoire. On sent à chaque instant que le musicien s’amuse lui-même de
ce qu’il écrit; la conviction et, partant, l’inspiration ne se montrent qu’à de
rares intervalles. Ce sont d’aimables bagatelles, bien présentées du reste,
car M. Delibes est un musicien fort habile et d’une instruction solide.
Dans le Roi l’a dit, nous ne voyons pas la renaissance du genre opéra-
comique : ni la pièce ni la musique ne sont conçues d’après les données
traditionnelles. L’amour qu’on y chante manque de sérieux; il conduit à des
mariages de rencontre auxquels personne ne s’intéresse, ni sur la scène ni
dans la salle. Ce n’en est pas moins une oeuvre de bonne humeur, et elles
sont trop rares pour que le public ne lui fasse pas un bon accueil.
L’interprétation est excellente : M. Carvalho, nous l’avons dit bien des
fois, a une troupe d’artistes absolument remarquables; leur nombre et leur
variété lui permettent de faire face à toutes les exigences des compositeurs,
quel que soit le caractère des partitions qu’on lui apporte; c’est à eux de lui
faire de bonne musique. On a beaucoup applaudi MM. Fugère et Grivot,
deux comédiens d’un talent supérieur; le premier a, en outre, une excellente
voix de baryton. Le ténor, M. Degenne, et la soubrette, Mlle Merguillier,
tiennent bien leurs rôles. Notons enfin un charmant essaim de jeunes filles,
les unes en travesti galant, les autres en pensionnaires; leurs allées et
venues, parfaitement inutiles à la pièce, relèvent de la poétique de l’opérette,
mais il est incontestable qu’on a du plaisir à les voir et même à les entendre.
Nous ne terminerons pas cet article sans rappeler la représentation
d’adieu donnée par Mme Miolan-Carvalho, avec le concours des artistes
les plus distingués des théâtres de Paris. Mmo Carvalho a été la plus grande
cantatrice française de la seconde moitié de ce siècle; elle a laissé une
marque ineffaçable sur tous les rôles qu’elle a créés, et particulièrement sur
le rôle de Marguerite de Faust, qui reste sa création la plus parfaite. Ses
débuts remontent â l’année 1849, le jour même de la retraite de Duprez
qui fut son professeur. Mme Carvalho emporte dans sa retraite l’admiration
de tous ceux qui l’ont entendue pendant sa longue et glorieuse carrière
d’artiste.
xxxii. — 2e PÉRIODE.
ALFRED DE LOSTALOT.
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