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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 32.1885

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Nr. 1
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Phillips, Claude: Expositions de la Royal Academy et de la Grosvenor Gallery: correspondance d'Angleterre
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https://doi.org/10.11588/diglit.24593#0103

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GAZETTE DES BEAUX-AIITS.

clairement l’influence qu’a eue sur l’artiste son dernier voyage en Hollande.
Milton, représenté dans sa maturité, et déjà aveugle, est assis sur un banc rustique
devant sa maison, accompagné de sa jeune femme qui porte le costume simple et
piquant de la secte des puritains. Le poète tend la main à un autre patriote et
écrivain de l’époque, Andrew Marvell, qui vient d’arriver suivi d’une compagnie
élégante, pour lui rendre visite : une servante, vue dans la pénombre du corridor
de la maison, apporte des rafraîchissements aux visiteurs. Le peintre s’est toujours
plongé avec délices dans la représentation de ce petit monde à part des puritains,
se plaisant à reproduire les couleurs sobres et la coupe sévère de ces atours dont
il aime à se servir pour ajouter du piquant à la physionomie d’une jolie fille ;
celte fois encore, il fait revivre avec adresse ses personnages favoris. Ce qui
nuit au succès complet de M. Boughton, c’est son parti pris de regarder l’humanité
et la nature à travers des demi-tons verdâtres, qu’il combine habituellement avec
du gris, du brun et du noir, agrémentés souvent d’un rouge pâle. C’est sans doute
une harmonie fort agréable aux yeux; mais cette persistance à l’employer partout
et toujours devient de la manière, et le peintre perd par la monotonie de ses
procédés une partie des effets auxquels il vise.

L’espace me manque pour vous parler de la sculpture, qui n’occupe ici qu’une place
très secondaire, et dont je n’aurais en vérité rien de bien particulier à dire. Quant
aux aquarellistes marquants, ils sont restés chez eux, malgré que l’Académie leur ait
ouvert cette année une salle nouvelle : c’est encore aux expositions de la Sociely
of Water Colours et de l’Institute of Water Colours qu’il faut aller les chercher.

Je vous dirai un mot en post-scriptum du Portrait du violoniste Sarasate
qu’expose cette année M. Whistler à la Society of British Artists. Cette toile est
intitulée Harmonie en noir et nous fait voir le célèbre virtuose debout, apparem-
ment dans une pièce vide et très sombre ; il tient son violon en place, l’archet à la
main. Il est en frac, c’est-à-dire tout en noir à l’exception du plastron de la
chemise échancrée. L’œuvre révèle, comme tout ce que produit M. Whistler, une
recherche subtile de l’effet, une vision très personnelle de la nature : les cri-
tiques, voulant être cette fois tout à fait généreux, se sont empressés de proclamer
ce portrait un chef-d’œuvre supérieur à tout ce que l’artiste a produit jusqu’à
présent. C’est, selon moi, exagérer un peu, car il me semble qu’il est loin d’y avoir
réussi au même point que dans plusieurs de scs œuvres précédentes. Lui qui est
en général un coloriste si raffiné n’a pas tiré de la gamme des noirs auxquels il
s’est astreint de parti pris tout le résultat qu’on aurait cru possible, et la tète,
quoique bien dessinée et fort ressemblante, n’a ni tout l’accent ni toute la vivacité
qu’on s’attendrait à trouver chez un admirateur aussi passionné de Velâzquez ;
le plastron blanc de la chemise empêche aussi cette figure vue dans la pénombre
d’être appréciée à sa vraie valeur. Ce qui est vraiment admirable, c’est la manière
naturelle dont le personnage se tient, c’est cette atmosphère sombre qui l’environne,
c’est enfin et surtout l’indication si heureuse du mouvement expressif des mains.
On verra très probablement ce portrait l’année prochaine au Salon de Paris.

CLAUDE PHILLIPPS.

Le Rédacteur en chef, gérant : LOUIS GONSE.
 
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