LE SALON ÜE 1885.
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la puissance; il vient de prouver que, comme tous les vraiment forts,
il est capable ’e tendresse. La figure qu’il a sculptée pour le tombeau
d’une jeune.mnme, Mrae Charles Ferry, est profondément émouvante.
Le dessin qui accompagne cet article nous dispense de la décrire. Par
un artifice exquis autant qu’habile de la facture, elle apparait
comme dans un lointain vaguement estompé, repliée sur elle-même,
douloureuse et voilée, — touchante image de la mélancolie des
séparations sans retour, quand, après l’apaisement des premières
révoltes, le cœur brisé se recueille, la douleur rêve, le souvenir
fidèle attend et veille'au seuil de l’éternité.
Il y a entre la conception et la facture de ce morceau une harmo-
nie profonde et délicate; tout y est discret et contenu; l’exécution a
des tendresses et comme des pudeurs exquises; nous ne voudrions
qu’adoucir le pli un peu dur que fait le voile sur la poitrine et alléger
peut-être aussi le nœud des draperies à droite. Mais quelle éloquence
poignante dans le mouvement de ce corps ! Que de caractère à la fois et
de douceur dans l’ensemble! Que de grâce triste dans le mouvement
de ces bras tombants et de ces mains lassées d’où s’échappent des fleurs !
Que d’angoisse dans le geste de ces genoux serrés et repliés comme au
bord d’un abîme ! Que de rêverie tendre dans cette tète voilée et comme
lointaine, penchée sur l’épaule et déjàremplie des pensées de Y au delà!
C’est aussi pour un tombeau que M. Cliapu a sculpté la statue de
Mmc la duchesse d’Orléans. Le monument est destiné à la chapelle
de Dreux où il prendra place à côté de celui du duc, mais dans des
conditions exceptionnelles qui ont imposé à l’artiste un parti pris et
des arrangements spéciaux. La princesse était, comme on sait,
protestante; il paraît que cette circonstance la privait du droit de
dormir en terre sainte, près de celui qu’elle a aimé. Il a donc fallu
chercher des accommodements — il s’en trouve toujours ! — et
construire, en dehors de l’église, une petite chapelle distincte qu’une
simple grille sépare des autres tombeaux. C’est à travers les bar-
reaux de bette grille que la duchesse, légèrement soulevée sur sa
couche funéraire et penchée de côté, tend vers son ami sa main
fidèle et le retrouve, en dépit des barrières de l’orthodoxie.
C’est ainsi que l’art, plus compatissant que le dogme, a su réunir
dans la mort ceux que la vie avait unis d’une si haute et si noble
union et, une fois de plus, a donné aux hommes une belle leçon de
tolérance et de fraternité. Il est le grand agent de civilisation,
d’apaisement et d’harmonie; plus large que les Églises, il n’excom-
munie personne; il a même, pour les hérétiques, des tendresses
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la puissance; il vient de prouver que, comme tous les vraiment forts,
il est capable ’e tendresse. La figure qu’il a sculptée pour le tombeau
d’une jeune.mnme, Mrae Charles Ferry, est profondément émouvante.
Le dessin qui accompagne cet article nous dispense de la décrire. Par
un artifice exquis autant qu’habile de la facture, elle apparait
comme dans un lointain vaguement estompé, repliée sur elle-même,
douloureuse et voilée, — touchante image de la mélancolie des
séparations sans retour, quand, après l’apaisement des premières
révoltes, le cœur brisé se recueille, la douleur rêve, le souvenir
fidèle attend et veille'au seuil de l’éternité.
Il y a entre la conception et la facture de ce morceau une harmo-
nie profonde et délicate; tout y est discret et contenu; l’exécution a
des tendresses et comme des pudeurs exquises; nous ne voudrions
qu’adoucir le pli un peu dur que fait le voile sur la poitrine et alléger
peut-être aussi le nœud des draperies à droite. Mais quelle éloquence
poignante dans le mouvement de ce corps ! Que de caractère à la fois et
de douceur dans l’ensemble! Que de grâce triste dans le mouvement
de ces bras tombants et de ces mains lassées d’où s’échappent des fleurs !
Que d’angoisse dans le geste de ces genoux serrés et repliés comme au
bord d’un abîme ! Que de rêverie tendre dans cette tète voilée et comme
lointaine, penchée sur l’épaule et déjàremplie des pensées de Y au delà!
C’est aussi pour un tombeau que M. Cliapu a sculpté la statue de
Mmc la duchesse d’Orléans. Le monument est destiné à la chapelle
de Dreux où il prendra place à côté de celui du duc, mais dans des
conditions exceptionnelles qui ont imposé à l’artiste un parti pris et
des arrangements spéciaux. La princesse était, comme on sait,
protestante; il paraît que cette circonstance la privait du droit de
dormir en terre sainte, près de celui qu’elle a aimé. Il a donc fallu
chercher des accommodements — il s’en trouve toujours ! — et
construire, en dehors de l’église, une petite chapelle distincte qu’une
simple grille sépare des autres tombeaux. C’est à travers les bar-
reaux de bette grille que la duchesse, légèrement soulevée sur sa
couche funéraire et penchée de côté, tend vers son ami sa main
fidèle et le retrouve, en dépit des barrières de l’orthodoxie.
C’est ainsi que l’art, plus compatissant que le dogme, a su réunir
dans la mort ceux que la vie avait unis d’une si haute et si noble
union et, une fois de plus, a donné aux hommes une belle leçon de
tolérance et de fraternité. Il est le grand agent de civilisation,
d’apaisement et d’harmonie; plus large que les Églises, il n’excom-
munie personne; il a même, pour les hérétiques, des tendresses