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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
critiques d’art sont partagés en deux camps dont l’un cherche à faire
oublier par son impétuosité l’infériorité du nombre : ceux qui croient
que ces dessins sont de la main de Raphaël, et ceux qui les retranchent
de l’œuvre du maître. Comptant dans les deux partis des amis
également chers, des maîtres également vénérés, je réunis, je pense,
du moins celles des conditions qui sont nécessaires pour mener le
débat avec impartialité et avec modération.
Trois points sont hors do conteste : 1° les dessins de Venise datent
de la fin du xve ou du commencement du xvie siècle; 2° ils formaient
au début un album ou un carnet de voyage; 3° ils proviennent pour
la majeure partie d’une seule et même main. C’est sur la détermi-
nation de cette main que s’est ouverte la plus violente des polémiques.
Tandis que MM. Cavalcaselle, Crowe, de Liphart, Bode, Lippmann,
Bayersdorfer, Schmarsow, de Pulszky, bon nombre de savants
italiens et anglais, et enfin la critique française tout entière, persistent
à affirmer la paternité de Raphaël, l’ingénieux et spirituel amateur
qui a rendu si célèbre dans les dernières années le nom do Lermolieff1
attribue le recueil à Bernardino Pinturicchio, suivi en cela par
M. Minghetti et par M. Wickhoflf; M. Kalil, de son côté, le revendique
pour Girolamo Genga d’Urbin. Un petit nombre de savants, tels que
M. Springer dans son beau livre sur Raphaël et Michel-Ange, tout
en niant la participation de Raphaël, hésitent à mettre en avant un
autre nom. Le recueil, selon eux, serait l’œuvre collective d’un
atelier ombrien.
Le Livre d'esquisses de Venise n’a pas d’histoire. Nous savons
seulement qu’il fut acheté A Parme, au commencement do ce siècle,
par le peintre Bossi, de Milan, au prix de 400 francs environ, baptisé
par lui du nom de Raphaël, enfin revendu, après la mort do Bossi,
à l’Académie des beaux-arts de Venise. Mais de l’obscurité qui
enveloppe les vicissitudes du volume, saurait-on tirer un argument
contre son authenticité? Les dessins de Raphaël A Lille, A Oxford,
au Louvre ou A Vienne, ont-ils leurs papiers mieux en règle? Qui
nous empêche de voir dans le Livre d'esquisses ce « libre famoso de
centodisegni di mano tutti di Rafïaello clic comprô Guide in Itoma »,
livre compris dans la succession de Guido Reni (j 1(342), et probable-
ment entré ensuite dans la collection de Carlo Maratta (f 1713), où
il est fait mention d’un « libro di alcuni avanzi de studi giovanili di
Rafïaello, elle approvano le sue prime faticlie cou un esatissima
I. Ce n’est plus aujourd'hui un secret pour personne que sous ce pseudonyme
se cache M. Morelli, sénateur du royaume d’Italie.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
critiques d’art sont partagés en deux camps dont l’un cherche à faire
oublier par son impétuosité l’infériorité du nombre : ceux qui croient
que ces dessins sont de la main de Raphaël, et ceux qui les retranchent
de l’œuvre du maître. Comptant dans les deux partis des amis
également chers, des maîtres également vénérés, je réunis, je pense,
du moins celles des conditions qui sont nécessaires pour mener le
débat avec impartialité et avec modération.
Trois points sont hors do conteste : 1° les dessins de Venise datent
de la fin du xve ou du commencement du xvie siècle; 2° ils formaient
au début un album ou un carnet de voyage; 3° ils proviennent pour
la majeure partie d’une seule et même main. C’est sur la détermi-
nation de cette main que s’est ouverte la plus violente des polémiques.
Tandis que MM. Cavalcaselle, Crowe, de Liphart, Bode, Lippmann,
Bayersdorfer, Schmarsow, de Pulszky, bon nombre de savants
italiens et anglais, et enfin la critique française tout entière, persistent
à affirmer la paternité de Raphaël, l’ingénieux et spirituel amateur
qui a rendu si célèbre dans les dernières années le nom do Lermolieff1
attribue le recueil à Bernardino Pinturicchio, suivi en cela par
M. Minghetti et par M. Wickhoflf; M. Kalil, de son côté, le revendique
pour Girolamo Genga d’Urbin. Un petit nombre de savants, tels que
M. Springer dans son beau livre sur Raphaël et Michel-Ange, tout
en niant la participation de Raphaël, hésitent à mettre en avant un
autre nom. Le recueil, selon eux, serait l’œuvre collective d’un
atelier ombrien.
Le Livre d'esquisses de Venise n’a pas d’histoire. Nous savons
seulement qu’il fut acheté A Parme, au commencement do ce siècle,
par le peintre Bossi, de Milan, au prix de 400 francs environ, baptisé
par lui du nom de Raphaël, enfin revendu, après la mort do Bossi,
à l’Académie des beaux-arts de Venise. Mais de l’obscurité qui
enveloppe les vicissitudes du volume, saurait-on tirer un argument
contre son authenticité? Les dessins de Raphaël A Lille, A Oxford,
au Louvre ou A Vienne, ont-ils leurs papiers mieux en règle? Qui
nous empêche de voir dans le Livre d'esquisses ce « libre famoso de
centodisegni di mano tutti di Rafïaello clic comprô Guide in Itoma »,
livre compris dans la succession de Guido Reni (j 1(342), et probable-
ment entré ensuite dans la collection de Carlo Maratta (f 1713), où
il est fait mention d’un « libro di alcuni avanzi de studi giovanili di
Rafïaello, elle approvano le sue prime faticlie cou un esatissima
I. Ce n’est plus aujourd'hui un secret pour personne que sous ce pseudonyme
se cache M. Morelli, sénateur du royaume d’Italie.