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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
A deux pas de là, voici justement deux Réunions d'officiers par
Pieter Claasz Soutman, l’une de 1642 avec douze figures, l’autre de
1644 avec dix-sept. Ce Soutman, né vers 1580, était l’aîné de Frans
Hais; il avait, dit-on, étudié chez Rubens, dont il a gravé plusieurs
compositions ; il avait été longtemps peintre de la cour de Pologne
et n’était rentré que vers 1628 à Harlem, où il s’était marié en 1630.
Ses deux tableaux, conçus dans la gamme sombre, avec de vifs
rehauts de notes claires, sont d’un bon praticien, mais sans accent
ni virilité. Soutman ne pense à Hais que pour l’arrondir et l’amollir;
en même temps il regarde du côté de Rembrandt, dont il essaye les
enveloppes brunes. Tout cela constitue un compositeur incertain,
un peintre sans franchise; sa pâte est épaisse et lourde, lâchée et
coulante. Ce qui reste à son acquit, ce sont quelques têtes bravement
comprises, hardiment brossées; mais rien n’y rappelle l’exécution
légère et transparente du tableau précédent.
Jan Cornelisz Yerspronck (1597-1662) et Jan de Bray (?-1695)
sont d’un autre prix. Tous deux fils de peintres, tous deux élèves
de leurs pères, subirent si fortement l’influence de Frans Hais que
leurs œuvres de jeunesse sont communément attribuées à ce maître1.
Cependant leur personnalité se décide vite et l’on peut les distinguer
sans peine. Yerspronck est un naturaliste sage mais décidé; il aime
les attitudes calmes, les visages honnêtes, les manières modestes. La
tranquillité de ses fonds grisâtres, sa science particulière des carna-
tions dont il accentue, avec insistance, tantôt la blancheur lympha-
tique, tantôt les rougeurs sanguines, les minuties naïves de son
dessin consciencieux lui donnent un air bien à lui. Son Portrait de
M. Colenberyh (1637), petit homme grassouillet, de courte encolure,
quelque peu déplumé, tout rose et tout épanoui dans son ample col
tuyauté; celui de Mmc Colenberyh, sa digne moitié, souriante on sa
belle fraise, ont une saveur amusante de bonne bourgeoisie. Son
chef-d’œuvre est la réunion des Ré y entes de la maison du Saint-
Esprit (1642). L’esprit d’économie fait décidément de sensibles pro-
grès dans les Pays-Bas. Dorénavant, c’est le génie de la comptabilité
qui plane sur toutes les réunions charitables. Le tableau de Yers-
pronck ouvre la série; c’est un appel de fonds. Il parait que la caisse
est vide. La directrice l’avoue en montrant sur la table une sacoche
assez plate d’où s’échappent quelques pauvres florins; la caissière
1. Le père de Jan, Cornelisz Engeltszen Yerspronck, a, dans le Musée de
Harlem, un Repas d'of/iciers d'archers, daté de 1 ü18, oiï l’on retrouve la tradition
de son maître Cornelisz de Harlem.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
A deux pas de là, voici justement deux Réunions d'officiers par
Pieter Claasz Soutman, l’une de 1642 avec douze figures, l’autre de
1644 avec dix-sept. Ce Soutman, né vers 1580, était l’aîné de Frans
Hais; il avait, dit-on, étudié chez Rubens, dont il a gravé plusieurs
compositions ; il avait été longtemps peintre de la cour de Pologne
et n’était rentré que vers 1628 à Harlem, où il s’était marié en 1630.
Ses deux tableaux, conçus dans la gamme sombre, avec de vifs
rehauts de notes claires, sont d’un bon praticien, mais sans accent
ni virilité. Soutman ne pense à Hais que pour l’arrondir et l’amollir;
en même temps il regarde du côté de Rembrandt, dont il essaye les
enveloppes brunes. Tout cela constitue un compositeur incertain,
un peintre sans franchise; sa pâte est épaisse et lourde, lâchée et
coulante. Ce qui reste à son acquit, ce sont quelques têtes bravement
comprises, hardiment brossées; mais rien n’y rappelle l’exécution
légère et transparente du tableau précédent.
Jan Cornelisz Yerspronck (1597-1662) et Jan de Bray (?-1695)
sont d’un autre prix. Tous deux fils de peintres, tous deux élèves
de leurs pères, subirent si fortement l’influence de Frans Hais que
leurs œuvres de jeunesse sont communément attribuées à ce maître1.
Cependant leur personnalité se décide vite et l’on peut les distinguer
sans peine. Yerspronck est un naturaliste sage mais décidé; il aime
les attitudes calmes, les visages honnêtes, les manières modestes. La
tranquillité de ses fonds grisâtres, sa science particulière des carna-
tions dont il accentue, avec insistance, tantôt la blancheur lympha-
tique, tantôt les rougeurs sanguines, les minuties naïves de son
dessin consciencieux lui donnent un air bien à lui. Son Portrait de
M. Colenberyh (1637), petit homme grassouillet, de courte encolure,
quelque peu déplumé, tout rose et tout épanoui dans son ample col
tuyauté; celui de Mmc Colenberyh, sa digne moitié, souriante on sa
belle fraise, ont une saveur amusante de bonne bourgeoisie. Son
chef-d’œuvre est la réunion des Ré y entes de la maison du Saint-
Esprit (1642). L’esprit d’économie fait décidément de sensibles pro-
grès dans les Pays-Bas. Dorénavant, c’est le génie de la comptabilité
qui plane sur toutes les réunions charitables. Le tableau de Yers-
pronck ouvre la série; c’est un appel de fonds. Il parait que la caisse
est vide. La directrice l’avoue en montrant sur la table une sacoche
assez plate d’où s’échappent quelques pauvres florins; la caissière
1. Le père de Jan, Cornelisz Engeltszen Yerspronck, a, dans le Musée de
Harlem, un Repas d'of/iciers d'archers, daté de 1 ü18, oiï l’on retrouve la tradition
de son maître Cornelisz de Harlem.