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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Munich. Ici, au contraire, tout semble avoir été combiné pour trou-
bler l’attention et fatiguer le regard. O11 admet généralement que
les meilleurs fonds pour faire valoir des peintures sont les rouges
unis; les verts olives sont encore très favorables. M. Cuipers a adopté,
pour les tentures et les fonds, des gris éteints, des violets passés,
des jaunes sales qui jurent avec les chaleurs ambrées de tous ces
vieux tableaux. De lourdes portières pelucheuses à dessins voyants,
des divans recouverts de velours à nuances fausses, achèvent le désar-
roi général des couleurs.
La qualité de la lumière rachète-t-elle au moins, pour les tableaux,
un si fâcheux parti pris? 11 n’en est rien. Il y a à la fois trop et pas
assez de lumière; c’est-à-dire que dans les salles où elle vient d’en
haut, elle tombe perpendiculairement, dure, crue, et frise les tableaux
qu’elle n’éclaire, en réalité, que par ses reflets sur les planchers.
Elle ne pénètre pas les pâtes, ne fouille pas et ne fait pas vibrer les
ombres. Les petites salles éclairées par des jours de côté ne sont pas
dans des conditions moins défectueuses. En somme, l’éclairage qu’on
a voulu faire abondant est partout mauvais ; il dépouille toutes ces
vieilles toiles, dont beaucoup cachaient leurs cicatrices dans la
pénombre du Trippenhuis; il les fait miroiter sans les envelopper,
sans les creuser dans leurs profondeurs. Les tableaux clairs et bien
conservés, comme ceux de Van der Helst, s’accommodent seuls do
tout ce tapage; le Banquet de la garde civique brille dans tout son éclat
un peu métallique.
Mais ce sont les tableaux de Rembrandt et surtout la Ronde de nuit
qui ont eu le plus à souffrir de ce changement de domicile. Dans ce
milieu, avec cet éclairage, la pauvre Ronde de nuit est positivement
méconnaissable. On l’a placée au fond d’une salle située à l’extrémité
de la galerie principale, de façon qu’on puisse la regarder de loin,
comme dans l’artifice d’un diorama; on l’a entourée de colonnes et
de dorures; on l’a écrasée sous un plafond surbaissé, puis encadrée à
neuf dans une moulure de bois noir à marqueteries jaunes; on l’a
élevée au-dessus de sa ligne naturelle d’horizon, et le résultat d’un
tel effort est qu’on la voit moins bien qu’au Trippenhuis, où on la
voyait bien les jours de soleil et à une certaine heure. M. Waltner
que nous avons trouvé devant le tableau, en train de mettre la
dernière main à sa grande eau-forte, nous avouait qu’il lui était
maintenant impossible de retrouver certaines figures du fond qu’il
avait vues au Trippenhuis et qu’il avait mises dans sa planche. Les
tons roux du tableau que l’on comparait naguère à de l’or en fusion
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Munich. Ici, au contraire, tout semble avoir été combiné pour trou-
bler l’attention et fatiguer le regard. O11 admet généralement que
les meilleurs fonds pour faire valoir des peintures sont les rouges
unis; les verts olives sont encore très favorables. M. Cuipers a adopté,
pour les tentures et les fonds, des gris éteints, des violets passés,
des jaunes sales qui jurent avec les chaleurs ambrées de tous ces
vieux tableaux. De lourdes portières pelucheuses à dessins voyants,
des divans recouverts de velours à nuances fausses, achèvent le désar-
roi général des couleurs.
La qualité de la lumière rachète-t-elle au moins, pour les tableaux,
un si fâcheux parti pris? 11 n’en est rien. Il y a à la fois trop et pas
assez de lumière; c’est-à-dire que dans les salles où elle vient d’en
haut, elle tombe perpendiculairement, dure, crue, et frise les tableaux
qu’elle n’éclaire, en réalité, que par ses reflets sur les planchers.
Elle ne pénètre pas les pâtes, ne fouille pas et ne fait pas vibrer les
ombres. Les petites salles éclairées par des jours de côté ne sont pas
dans des conditions moins défectueuses. En somme, l’éclairage qu’on
a voulu faire abondant est partout mauvais ; il dépouille toutes ces
vieilles toiles, dont beaucoup cachaient leurs cicatrices dans la
pénombre du Trippenhuis; il les fait miroiter sans les envelopper,
sans les creuser dans leurs profondeurs. Les tableaux clairs et bien
conservés, comme ceux de Van der Helst, s’accommodent seuls do
tout ce tapage; le Banquet de la garde civique brille dans tout son éclat
un peu métallique.
Mais ce sont les tableaux de Rembrandt et surtout la Ronde de nuit
qui ont eu le plus à souffrir de ce changement de domicile. Dans ce
milieu, avec cet éclairage, la pauvre Ronde de nuit est positivement
méconnaissable. On l’a placée au fond d’une salle située à l’extrémité
de la galerie principale, de façon qu’on puisse la regarder de loin,
comme dans l’artifice d’un diorama; on l’a entourée de colonnes et
de dorures; on l’a écrasée sous un plafond surbaissé, puis encadrée à
neuf dans une moulure de bois noir à marqueteries jaunes; on l’a
élevée au-dessus de sa ligne naturelle d’horizon, et le résultat d’un
tel effort est qu’on la voit moins bien qu’au Trippenhuis, où on la
voyait bien les jours de soleil et à une certaine heure. M. Waltner
que nous avons trouvé devant le tableau, en train de mettre la
dernière main à sa grande eau-forte, nous avouait qu’il lui était
maintenant impossible de retrouver certaines figures du fond qu’il
avait vues au Trippenhuis et qu’il avait mises dans sa planche. Les
tons roux du tableau que l’on comparait naguère à de l’or en fusion