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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
flammes reflétées sur son jeune corps ne soient pas rendues d’une façon très
réussie. Un jeune peintre, M. Solomon, le même dont la Gassandre enlevée est
actuellement au Salon de Paris, expose une grande toile représentant Scrnson
fait prisonnier en présence de Dalila, dans laquelle on pourrait signaler bien des
faiblesses, bien des défauts d’exécution, mais qui frappe cependant, par l’originalité
du point de vue, par la vigueur dramatique dont le jeune peintre a rajeuni un
sujet trop connu. Je voudrais passer en silence un tableau énorme et prétentieux
de M. Goodall, le Christ et la femme adultère; l’œuvre est absolument vide et
dépourvue de signification. M. Waterhouse est un de nos jeunes peintres dont la
vive imagination et la science déjà solide justifient les espérances les mieux fondées.
Si avec sa Marianne condamnée quittant la présence du roi Hérode, il n’a pas réussi
plus complètement que M. Tadéma, qui est en quelque sorte son chef de file, à
sortir du tableau de genre classique, pour entrer dans le domaine du grand art
historique, son œuvre a des qualités incontestables de sentiment et d’exécution. La
reine Marianne est fort belle et d’une dignité touchante; entièrement vêtue de
blanc et ses grands cheveux noirs épars, elle descend lentement les marches d'un
escalier de marbre, lançant à Hérode encore hésitant un dernier regard fier et sup-
pliant. Les autres personnages n’ont malheureusement pas la valeur de cette figure.
Certes, on doit quelques égards aux réputations consacrées, aux personnalités
artistiques dont le renom est assuré par une série non interrompue de succès;
cependant il est difficile de parler avec une froide mesure du tableau principal envoyé
cette année par sir J.-E. Millais et intitulé Miséricorde {Saint-Barthélemy, 1572),
sorte de pendant au tableau justement célèbre de sa jeunesse, le Huguenot. C’est
une scène mélodramatique, sans la vigueur du mélodrame. Le peintre a voulu
représenter un seigneur catholique retenu par une religieuse à genoux, tandis
qu’un moine, dont le geste de convention n’est rien moins que tragique, lui fait
signe de le suivre. Rien n’égale la banalité, — disons-le — la vulgarité de
cette œuvre, dont l’exécution décèle toujours cependant une main expérimentée;
il est à regretter qu’un maître de la valeur et de la réputation de sir J.-E. Millais
n’ait pas hésité à envoyer à l’Academy une œuvre d’une portée aussi faible. Une
étude de petite fille, Lilacs, et une autre d’une jeune femme avec une petite fille,
The Nest, montrent le peintre sous un aspect plus connu et infiniment plus agréable.
Quant à M. Orchardson, qui est incontestablement l’un des soutiens de notre
École, on ne peut dire qu’il ait absolument atteint le même degré d’excellence qui
fit de ses œuvres des deux années précédentes les plus marquantes de l’Exposition.
Sa toile, intitulée le Premier nuage, est une redite inspirée par le succès que rempor-
tèrent ses représentations précédentes de malentendus conjugaux entre époux
d’àge inégal. L’interprétation du sujet, le moment choisi, cette fois-ci, pour illustrer
la sourde lutte de volontés à laquelle donne lieu le mariage de raison, sont cepen-
dant tout autres. L’époux déconfit, point vieux mais d’àge mûr cependant, se tient
debout sur l’âtre abandonné dans une pièce brillamment éclairée, tandis que sa
jeune épouse va disparaître clans la pénombre d’un salon intérieur plus sombre.
La composition, la conception générale, sont défectueuses, puisque le personnage
principal ne ressort pas suffisamment de son entourage de meubles et d’objets
divers, et que sa fine nuance d’expression, qui est d’une importance capitale pour
le tableau, se perd trop dans la surcharge de l'ensemble. Ce qu’il y a surtout de
remarquable dans celte œuvre, c’est l’agencement des deux lumières, l’exécution un
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
flammes reflétées sur son jeune corps ne soient pas rendues d’une façon très
réussie. Un jeune peintre, M. Solomon, le même dont la Gassandre enlevée est
actuellement au Salon de Paris, expose une grande toile représentant Scrnson
fait prisonnier en présence de Dalila, dans laquelle on pourrait signaler bien des
faiblesses, bien des défauts d’exécution, mais qui frappe cependant, par l’originalité
du point de vue, par la vigueur dramatique dont le jeune peintre a rajeuni un
sujet trop connu. Je voudrais passer en silence un tableau énorme et prétentieux
de M. Goodall, le Christ et la femme adultère; l’œuvre est absolument vide et
dépourvue de signification. M. Waterhouse est un de nos jeunes peintres dont la
vive imagination et la science déjà solide justifient les espérances les mieux fondées.
Si avec sa Marianne condamnée quittant la présence du roi Hérode, il n’a pas réussi
plus complètement que M. Tadéma, qui est en quelque sorte son chef de file, à
sortir du tableau de genre classique, pour entrer dans le domaine du grand art
historique, son œuvre a des qualités incontestables de sentiment et d’exécution. La
reine Marianne est fort belle et d’une dignité touchante; entièrement vêtue de
blanc et ses grands cheveux noirs épars, elle descend lentement les marches d'un
escalier de marbre, lançant à Hérode encore hésitant un dernier regard fier et sup-
pliant. Les autres personnages n’ont malheureusement pas la valeur de cette figure.
Certes, on doit quelques égards aux réputations consacrées, aux personnalités
artistiques dont le renom est assuré par une série non interrompue de succès;
cependant il est difficile de parler avec une froide mesure du tableau principal envoyé
cette année par sir J.-E. Millais et intitulé Miséricorde {Saint-Barthélemy, 1572),
sorte de pendant au tableau justement célèbre de sa jeunesse, le Huguenot. C’est
une scène mélodramatique, sans la vigueur du mélodrame. Le peintre a voulu
représenter un seigneur catholique retenu par une religieuse à genoux, tandis
qu’un moine, dont le geste de convention n’est rien moins que tragique, lui fait
signe de le suivre. Rien n’égale la banalité, — disons-le — la vulgarité de
cette œuvre, dont l’exécution décèle toujours cependant une main expérimentée;
il est à regretter qu’un maître de la valeur et de la réputation de sir J.-E. Millais
n’ait pas hésité à envoyer à l’Academy une œuvre d’une portée aussi faible. Une
étude de petite fille, Lilacs, et une autre d’une jeune femme avec une petite fille,
The Nest, montrent le peintre sous un aspect plus connu et infiniment plus agréable.
Quant à M. Orchardson, qui est incontestablement l’un des soutiens de notre
École, on ne peut dire qu’il ait absolument atteint le même degré d’excellence qui
fit de ses œuvres des deux années précédentes les plus marquantes de l’Exposition.
Sa toile, intitulée le Premier nuage, est une redite inspirée par le succès que rempor-
tèrent ses représentations précédentes de malentendus conjugaux entre époux
d’àge inégal. L’interprétation du sujet, le moment choisi, cette fois-ci, pour illustrer
la sourde lutte de volontés à laquelle donne lieu le mariage de raison, sont cepen-
dant tout autres. L’époux déconfit, point vieux mais d’àge mûr cependant, se tient
debout sur l’âtre abandonné dans une pièce brillamment éclairée, tandis que sa
jeune épouse va disparaître clans la pénombre d’un salon intérieur plus sombre.
La composition, la conception générale, sont défectueuses, puisque le personnage
principal ne ressort pas suffisamment de son entourage de meubles et d’objets
divers, et que sa fine nuance d’expression, qui est d’une importance capitale pour
le tableau, se perd trop dans la surcharge de l'ensemble. Ce qu’il y a surtout de
remarquable dans celte œuvre, c’est l’agencement des deux lumières, l’exécution un