Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 36.1887

DOI Heft:
Nr. 3
DOI Artikel:
Durand-Gréville, Émile: La peinture aux États-Unis, 2: les galeries privées
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.24190#0284

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
254

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

louer hautement une œuvre qui a été moins remarquée parce que le sujet en était
moins poétique. Le paysan qui sème a cela pour lui, qu’il accomplit en quelque
sorte un des rites sacrés de la terre; pour peu qu’on le mette dans un paysage cré-
pusculaire, se profilant sur un ciel doré des derniers rayons du couchant, il s’em
preint d’une singulière poésie. Tandis qu’une fermière qui porte un seau au bout de
chaque bras n’est pas faite pour enflammer l’inspiration d’un poète en prose ou en
vers : pourtant Millet n’a jamais été plus peintre, dans le sens absolu du mot,
qu’en traitant ce sujet prosaïque ; jamais il n’amieux construit une tête, jamaisiln’a
modelé un buste avec plus de vigueur et de souplesse sous un vêtement qui enve-
loppe les formes sans les cacher. Il faut être un grand dessinateur rien que pour
modeler aussi superbement cette épaule droite, ce bras droit tout entier, d’une vérité
criante avec sa forme si juste, ses tendons du poignet tirés par le poids du seau ;
il faut être un grand peintre pour rendre le seau lui-même non seulement dans sa
forme, mais avec la nature de la matière de ses différentes parties, bois humide,
fer rouillé et fer luisant, mieux que ne l’aurait fait Bonvin; il faut enfin être un
grand luministe, pour exprimer sous ce coup de soleil qui tombe de gauche à
droite, les relations des tons des objets, dans la lumière et dans l’ombre, avec les
valeurs effacées du puits de granit couvert de lierre qui fait un fond sombre au
tableau. Dans tout cela, rien des tons clairs et papillotants de maint aquarelliste,
mais une lumière sobre et profonde, la lumière des chefs-d’œuvre.

En terminant cette revue des galeries particulières de la région Est, nous
sommes forcé d’avouer qu’elle est incomplète, puisqu’elle laisse de côté le reste de
l’Amérique. Mais, pendant nos dernières semaines de séjour à New-York, nous
avons eu entre les mains et longuement examiné un superbe ouvrage illustré inti-
tulé : Les Trésors d’art de VAmérique (Art treasures), par M. Strab.au, artiste d’une
certaine valeur et ex-élève de Gérôme. Cet examen nous a permis de constater
qu’un voyage dans les régions de l’Ouest nous aurait sans doute permis de voir un
bon nombre d’ouvrages intéressants, par exemple un Millet et un Delacroix chez
M. Probasco, à Cincinnati; mais les chefs-d’œuvres semblent avoir eu une
prédilection pour les rivages de EAtlantique, comme s’ils hésitaient à s’éloigner
davantage de leur lieu de naissance. On nous assure d’ailleurs que, sauf dans
quelques galeries exceptionnelles de Chicago, de Saint-Louis, de San-Francisco, etc.,
ces régions lointaines sont assez riches en Corot de cinq cents francs et en
Rousseau de trois cents.

Mais pour dire toute notre pensée, un certain nombre d’ouvrages apocryphes
sont restés aussi sur les bords de l’Atlantique : un ou deux Millet, plusieurs Corot,
même dans des galeries bien choisies, et des Diaz, des Diaz à l’infini!... Un
certain nombre de paysages de cet artiste et un bon quart de ses tableaux de
figures sont évidemment faux, ou tellement douteux, que cela revient presque au
même. Nous avons essayé quelquefois de dire très timidement : — Il me semble
que ce tableau de Diaz n’est pas tout à fait dans sa manière ordinaire. — Oh,
monsieur, c’est justement un de ses plus beaux! répondait infailliblement le pro-
priétaire de l’œuvre discutée.

Une seule fois, dans le cours de.notre voyage en Amérique, nous avons ren-
contré un homme, possesseur d’une très nombreuse et très belle galerie, qui nous
a prié de lui dire franchement notre opinion sur l’authenticité de ses trésors. Nous
 
Annotationen