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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 36.1887

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Nr. 6
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Mantz, Paul: Une tournée en Auvergne, 3, La Chaise-Dieu - Moulins
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https://doi.org/10.11588/diglit.24190#0506

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454

GAZETTE DES BEAUX-A11TS.

qui se prolongent en pointe. La Mort n’a pas toujours, comme à la
Chaise-Dieu, le visage humain : on voit intervenir çà et là un élément
d’une gaieté douteuse : ici la tête de la grande justicière est celle
d un singe, plus loin, elle est remplacée par celle d’un oiseau chimé-
rique. Cette fantaisie enlève à la Danse de Kermaria un peu de l’effroi
que, dans la pensée de l’auteur, elle devait produire.

L’œuvre n’en est pas moins très intéressante et je ne suis pas
surpris qu'elle ait éveillé le zèle des érudits L J’ajouterai que la
peinture de Kermaria diffère de celle de la Chaise-Dieu aussi bien par
la disposition graphique des personnages que par la valeur d’art. A
Kermaria nous avons affaire à un artiste de seconde main dont le
pinceau sage et modéré n’a pas d’originalité propre ; à la Chaise-Dieu,
nous sommes en présence d’un peintre à l’inspiration indépendante
qui, s’il n’a pas inventé le sujet, le renouvelle hardiment et qui,
dans la bravoure de son dessin, se révèle comme un maître aussi
savant qu’audacieux. A Kermaria, il y a un commencement de
somnolence; il semble que la poésie du sujet a cessé de parler aux
âmes et que l’enthousiasme va s’éteindre. Sans doute, le xvie siècle
doit reprendre la donnée et s’exercer encore à la chorégraphie funé-
raire ; mais le sentiment sera tout autre. Pour la France, la vraie
Danse des morts est celle de la Chaise-Dieu.

Dans cette église dévastée où le passé parle avec tant d’éloquence,
dans cet humble bourg perdu au milieu des solitudes, on est bien
loin de la vie moderne. Mais l’homme n’est pas le captif éternel du
spectacle qui l’intéresse, il est capable de révolte, il peut, avec un
effort, rentrer dans les réalités vivantes. Nous partons. Nous
suivons, dans une petite voiture légère, un chemin qui est un chef-
d’œuvre. Les ingénieurs ou les agents voyers qui l’ont tracé ont
pensé aux adorateurs du paysage : ils ont établi la chaussée sur les
pentes qui dominent le cours d’une délicieuse petite rivière qu’on
nomme la Senouire et qui, débutant au bas de la montagne sur laquelle
est construite la Chaise-Dieu, se dirige capricieusement vers l’Ailier
où elle se jette un peu au-dessous de Brioude. Cette rivière est fort
modeste, et les poètes n’en parlent pas. Ils ont tort : rien de plus
exquis que ces collines boisées, ces prairies suspendues, ces rochers
surplombants où paissent quelques moutons, toutes ces choses étant
d’ailleurs caressées par un air pur qui vous met la joie au cœur. Çà
et là, dans le grand silence du ciel, un oiseau de proie qui plane et

1. Voy. Félix Soleil, la Danse macabre de Kermaria an-Isquit, Saint-Brieuc, 1882.
 
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