PIERRE BREUGHEL LE VIEUX.
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Les compagnons de misère s’avancent d’un pas chancelant. Ils
lèvent au ciel leur face inerte, comme poussés par une force irrésis-
tible vers une destinée fatale. Ils se traînent dans la nuit et leur
orbite vide ne laisse pénétrer jusqu’à leur intellect qu’une notion
trop vague de la réalité des choses pour que l’appréhension d’un
danger nouveau y puisse trouver sa place. La ligne que forme ce
cortège est d’une correction à braver la critique du plus rigide
académiste. On peut la qualifier de sculpturale ; exempte de vides
inutiles, elle ne se rompt d’un côté que pour se ressouder de
l’autre.
Le Musée de Naples, chose assez bizarre, possède un autre
Breughel, peint à la détrempe comme le premier. Les figures de ce
tableau circulaire ont presque la grandeur des personnages du pré-
cédent. Le sujet, à proprement parler, est un rébus. M. Lavice, dans
sa Revue des Musées d’Italie, propose la solution suivante : « Le diable,
environné d’un double cercle, vole la bourse que cachait sous son
manteau un hypocrite ou plutôt un avare. »
M. Rousseau, après avoir décrit l’œuvre à son tour , pose la ques-
tion : « Est-ce une allégorie? Cela veut-il dire que le fanatisme se
laisse duper par l’hypocrisie? J’abandonne le problème aux discus-
sions des amateurs. »
Il nous est permis de lever les incertitudes, car Breughel a défini
son sujet par une inscription en vers flamands, reproduite aussi en
français, sur une estampe de Wiericx, laquelle d’ailleurs est
anonyme.
Je porte le deuil voyant le monde
Qui en tant de fraudes abonde.
Ne s’agit il pas en effet d’un deuillant, le visage dissimulé dans sa
cagoule, à qui le globe terrestre, muni de bras et de jambes, vient
subrepticement voler sa bourse?
La peinture, de qualité excellente, appartient à une série dont
nous ne connaissons les sujets complémentaires que par les repro-
ductions de Wiericx. L’une des compositions est extrêmement inté-
ressante. Elle représente deux moines mendiants frappant à des portes
closes, avec ces deux vers :
Maintenant en vain nous mendions
Car à l’huys du sourd nous crions. i.
i. Les Maîtres flamands du Musée de Naples (Bulletin des commissions royales
d'art et d’archéologie, t. XXI, 1882, p. 197).
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Les compagnons de misère s’avancent d’un pas chancelant. Ils
lèvent au ciel leur face inerte, comme poussés par une force irrésis-
tible vers une destinée fatale. Ils se traînent dans la nuit et leur
orbite vide ne laisse pénétrer jusqu’à leur intellect qu’une notion
trop vague de la réalité des choses pour que l’appréhension d’un
danger nouveau y puisse trouver sa place. La ligne que forme ce
cortège est d’une correction à braver la critique du plus rigide
académiste. On peut la qualifier de sculpturale ; exempte de vides
inutiles, elle ne se rompt d’un côté que pour se ressouder de
l’autre.
Le Musée de Naples, chose assez bizarre, possède un autre
Breughel, peint à la détrempe comme le premier. Les figures de ce
tableau circulaire ont presque la grandeur des personnages du pré-
cédent. Le sujet, à proprement parler, est un rébus. M. Lavice, dans
sa Revue des Musées d’Italie, propose la solution suivante : « Le diable,
environné d’un double cercle, vole la bourse que cachait sous son
manteau un hypocrite ou plutôt un avare. »
M. Rousseau, après avoir décrit l’œuvre à son tour , pose la ques-
tion : « Est-ce une allégorie? Cela veut-il dire que le fanatisme se
laisse duper par l’hypocrisie? J’abandonne le problème aux discus-
sions des amateurs. »
Il nous est permis de lever les incertitudes, car Breughel a défini
son sujet par une inscription en vers flamands, reproduite aussi en
français, sur une estampe de Wiericx, laquelle d’ailleurs est
anonyme.
Je porte le deuil voyant le monde
Qui en tant de fraudes abonde.
Ne s’agit il pas en effet d’un deuillant, le visage dissimulé dans sa
cagoule, à qui le globe terrestre, muni de bras et de jambes, vient
subrepticement voler sa bourse?
La peinture, de qualité excellente, appartient à une série dont
nous ne connaissons les sujets complémentaires que par les repro-
ductions de Wiericx. L’une des compositions est extrêmement inté-
ressante. Elle représente deux moines mendiants frappant à des portes
closes, avec ces deux vers :
Maintenant en vain nous mendions
Car à l’huys du sourd nous crions. i.
i. Les Maîtres flamands du Musée de Naples (Bulletin des commissions royales
d'art et d’archéologie, t. XXI, 1882, p. 197).