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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
est vrai que la description donnée dans le prix fait ne rappelle qu’en
partie le retable actuel ; mais nous y retrouvons les principales
figures, la Madone et le Crucifix, saint Jean-Baptiste et saint Pierre.
L’hypothèse d’un déplacement de ces panneaux tout vermoulus peut
expliquer d’ailleurs la disparition du gradin et du couronnement
primitifs, transformés en bordure énorme et pesante.
Si Jean de Troyes a réellement peint le retable de Six-Fours, il
mérite mieux qu’une mention honorable parmi tant d’artistes seule-
ment connus des déchiffreurs d’archives, et l’art français peut s’enor-
gueillir à bon droit de son œuvre. Mais ce Jean de Troyes ne nous
est révélé que par la publication du docteur Barthélemy, qui, tout
en nous donnant une liste fort importante de ses travaux, laisse
entièrement obscure la première partie de son histoire, la plus
intéressante à nos yeux. Nous savons qu’il s’appelait Jean Cordonnier,
avant de prendre le nom de sa ville natale; mais nous ignorons la
date de sa naissance, et s’il fit son apprentissage en Italie. En 1516,
nous le trouvons à Aix, et, peu de temps après, à Marseille, où il
demeura jusqu’à sa mort, survenue entre les dates extrêmes du
3 août 1548 et du 29 janvier 1549. Il dut exécuter, en 1516, sur la
commande de dame Rigone, veuve de Jean Durand, corroyeur, un
grand tableau d’autel destiné à l’église des Accoules de Marseille.
C’était, sur champ d’or, Notre-Dame de Consolation, entourée d’anges
et de saints, ayant à ses pieds nombre de grands personnages « au
plus richement qu’il se pourra faire suivant leur état », et les dona-
teurs agenouillés. Le gradin et les pinacles, divisés, selon la mode
italienne, en nombreux compartiments, représentaient l’histoire de
la Madone. En 1517, un deuxième retable, glorifiant saint Dominique,
est commandé pour le couvent des Prêcheurs aux peintres Jean de
Troyes et Étienne Peson. Suivent les prix faits, en 1520, du retable
de Six-Fours; en 1522, d’un retable pour les Clarisses de Marseille;
en 1524, d’une bannière pour la corporation des menuisiers; la même
année, d’une solennelle image de sainte Barbe pour la corporation
des bombardiers, à l’église Saint-Jean-de-Jérusalem ; en 1526, d’un
retable pour la confrérie de Saint-Antoine, et d’un autre, beaucoup
plus vaste, avec l’image de Notre-Dame de Pitié, pour la corpora-
tion des calfats, à l’église Saint-Laurent; enfin, en 1545, de la pein-
ture d’une statue en bois représentant saint Honoré, pour la
corporation des boulangers, au couvent des Augustins.
De toutes ces commandes, la plupart considérables, il résulte que
les Marseillais tenaient en haute estime le talent de Jean Cordonnier ;
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
est vrai que la description donnée dans le prix fait ne rappelle qu’en
partie le retable actuel ; mais nous y retrouvons les principales
figures, la Madone et le Crucifix, saint Jean-Baptiste et saint Pierre.
L’hypothèse d’un déplacement de ces panneaux tout vermoulus peut
expliquer d’ailleurs la disparition du gradin et du couronnement
primitifs, transformés en bordure énorme et pesante.
Si Jean de Troyes a réellement peint le retable de Six-Fours, il
mérite mieux qu’une mention honorable parmi tant d’artistes seule-
ment connus des déchiffreurs d’archives, et l’art français peut s’enor-
gueillir à bon droit de son œuvre. Mais ce Jean de Troyes ne nous
est révélé que par la publication du docteur Barthélemy, qui, tout
en nous donnant une liste fort importante de ses travaux, laisse
entièrement obscure la première partie de son histoire, la plus
intéressante à nos yeux. Nous savons qu’il s’appelait Jean Cordonnier,
avant de prendre le nom de sa ville natale; mais nous ignorons la
date de sa naissance, et s’il fit son apprentissage en Italie. En 1516,
nous le trouvons à Aix, et, peu de temps après, à Marseille, où il
demeura jusqu’à sa mort, survenue entre les dates extrêmes du
3 août 1548 et du 29 janvier 1549. Il dut exécuter, en 1516, sur la
commande de dame Rigone, veuve de Jean Durand, corroyeur, un
grand tableau d’autel destiné à l’église des Accoules de Marseille.
C’était, sur champ d’or, Notre-Dame de Consolation, entourée d’anges
et de saints, ayant à ses pieds nombre de grands personnages « au
plus richement qu’il se pourra faire suivant leur état », et les dona-
teurs agenouillés. Le gradin et les pinacles, divisés, selon la mode
italienne, en nombreux compartiments, représentaient l’histoire de
la Madone. En 1517, un deuxième retable, glorifiant saint Dominique,
est commandé pour le couvent des Prêcheurs aux peintres Jean de
Troyes et Étienne Peson. Suivent les prix faits, en 1520, du retable
de Six-Fours; en 1522, d’un retable pour les Clarisses de Marseille;
en 1524, d’une bannière pour la corporation des menuisiers; la même
année, d’une solennelle image de sainte Barbe pour la corporation
des bombardiers, à l’église Saint-Jean-de-Jérusalem ; en 1526, d’un
retable pour la confrérie de Saint-Antoine, et d’un autre, beaucoup
plus vaste, avec l’image de Notre-Dame de Pitié, pour la corpora-
tion des calfats, à l’église Saint-Laurent; enfin, en 1545, de la pein-
ture d’une statue en bois représentant saint Honoré, pour la
corporation des boulangers, au couvent des Augustins.
De toutes ces commandes, la plupart considérables, il résulte que
les Marseillais tenaient en haute estime le talent de Jean Cordonnier ;