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GAZETTE DES BEAUX-A11TS.
Phalante et Ethra. — A côté d’un guerrier assis, armé de plusieurs
piques et absorbé dans sa douleur, une femme se tient debout et
parait le consoler. Pausanias, l’auteur grec très cité en 1806
auquel l’épisode historique est emprunté, raconte que les Lacédémo-
niens, ayant envoyé une colonie à Tarente, sous la conduite de
Phalante, celui-ci avait appris de l’oracle de Delphes que l’emplace-
ment de la ville devait être choisi lorsqu’il verrait tomber la pluie
d’un ciel pur, état atmosphérique nommé par les Grecs Ethra (atQpa
ou aiOpta). Phalante, profondément découragé par quelques insuccès,
se livrait au désespoir, quand sa femme, qui l’avait accompagné,
s’associant à son chagrin, lui prit la tête dans ses mains et baigna
sa chevelure de ses larmes. Or, la femme de Phalante se nommait
Ethra. Le guerrier, illuminé soudain, comprit le sens de l’oracle,
et, reprenant confiance, il triompha de la résistance de la ville
assiégée. Tel est le sujet prétentieux que, pour sacrifier à la mode, le
pensionnaire avait choisi comme aurait pu le faire tout autre de ses
camarades; mais ce sujet, traité avec une grâce infinie, est traduit
par un relief très bas, presque comme une médaille agrandie ou
comme certains vases en marbre à destination funéraire de la Grèce,
et dans un style inspiré du plus pur hellénisme. Il faut aller voir ce
modèle original en cire que possède l’Ecole des Beaux-Arts de Paris,
exposé dans la salle Lesouffaché. C’est une œuvre exquise, dont le
marbre parut au Salon de 1814 et dont le moulage est conservé au
Musée d’Aix-en-Provence, donné par un compatriote de l’artiste, un
autre illustre enfant de la famille provençale, un membre du petit
cénacle de la place Vendôme, par le peintre Granet. Emeric-David
en a parlé dans son Histoire de la sculpture française 2 ; il a d’ailleurs
été gravé tout récemment dans la Gazette (Juillet 1890).
Les préoccupations qui avaient agité l’esprit de P.-F.-G.-Giraud
tant qu’il fut pensionnaire de l’Académie ne l’abandonnèrent pas
chaque fois qu’il revint fouler le sol italien. Il demeura toujours
réfractaire aux fatales influences de la froide et basse décadence
romaine. Le sentiment intime de la nature ne fut jamais émoussé
chez lui par les besoins du pastiche ni par la poursuite d’un certain
style, dont le caractère réputé grandiose dissimulait mal, chez ses
contemporains, la vulgarité. Le Musée du Louvre possède à cet
1. Chaussard publiait cette année un compte rendu du Salon sous le nom de
Pausanias français.
2. Édition de 1833, p. 207 et 208, Sur les Progrès de la sculpture française, de
puis le commencement du règne de Louis XIV jusqu’à nos jours.
GAZETTE DES BEAUX-A11TS.
Phalante et Ethra. — A côté d’un guerrier assis, armé de plusieurs
piques et absorbé dans sa douleur, une femme se tient debout et
parait le consoler. Pausanias, l’auteur grec très cité en 1806
auquel l’épisode historique est emprunté, raconte que les Lacédémo-
niens, ayant envoyé une colonie à Tarente, sous la conduite de
Phalante, celui-ci avait appris de l’oracle de Delphes que l’emplace-
ment de la ville devait être choisi lorsqu’il verrait tomber la pluie
d’un ciel pur, état atmosphérique nommé par les Grecs Ethra (atQpa
ou aiOpta). Phalante, profondément découragé par quelques insuccès,
se livrait au désespoir, quand sa femme, qui l’avait accompagné,
s’associant à son chagrin, lui prit la tête dans ses mains et baigna
sa chevelure de ses larmes. Or, la femme de Phalante se nommait
Ethra. Le guerrier, illuminé soudain, comprit le sens de l’oracle,
et, reprenant confiance, il triompha de la résistance de la ville
assiégée. Tel est le sujet prétentieux que, pour sacrifier à la mode, le
pensionnaire avait choisi comme aurait pu le faire tout autre de ses
camarades; mais ce sujet, traité avec une grâce infinie, est traduit
par un relief très bas, presque comme une médaille agrandie ou
comme certains vases en marbre à destination funéraire de la Grèce,
et dans un style inspiré du plus pur hellénisme. Il faut aller voir ce
modèle original en cire que possède l’Ecole des Beaux-Arts de Paris,
exposé dans la salle Lesouffaché. C’est une œuvre exquise, dont le
marbre parut au Salon de 1814 et dont le moulage est conservé au
Musée d’Aix-en-Provence, donné par un compatriote de l’artiste, un
autre illustre enfant de la famille provençale, un membre du petit
cénacle de la place Vendôme, par le peintre Granet. Emeric-David
en a parlé dans son Histoire de la sculpture française 2 ; il a d’ailleurs
été gravé tout récemment dans la Gazette (Juillet 1890).
Les préoccupations qui avaient agité l’esprit de P.-F.-G.-Giraud
tant qu’il fut pensionnaire de l’Académie ne l’abandonnèrent pas
chaque fois qu’il revint fouler le sol italien. Il demeura toujours
réfractaire aux fatales influences de la froide et basse décadence
romaine. Le sentiment intime de la nature ne fut jamais émoussé
chez lui par les besoins du pastiche ni par la poursuite d’un certain
style, dont le caractère réputé grandiose dissimulait mal, chez ses
contemporains, la vulgarité. Le Musée du Louvre possède à cet
1. Chaussard publiait cette année un compte rendu du Salon sous le nom de
Pausanias français.
2. Édition de 1833, p. 207 et 208, Sur les Progrès de la sculpture française, de
puis le commencement du règne de Louis XIV jusqu’à nos jours.