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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 5.1891

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Nr. 5
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Kairouan, 1: l'art arabe dans le Maghreb
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https://doi.org/10.11588/diglit.24449#0403

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K A1R0UAN.

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tion, ses murs d’enceinte se dégraderont aussitôt que l’empire aura
succombé; elle tombera en ruines... Cela est arrivé pour Kairouan. »

Sidi-Okba n’était ni un hygiéniste ni un philosophe; il pensait
sans doute que Dieu pourvoirait à la fortune de la ville qu’il fondait '.
Ce lieu inculte lui plut par sa sauvagerie : il y planta brutalement sa
lance.

« Arrivé là, dit Ibn-abd-el-Hakem, Sidi-Okba cria à haute voix :
« Habitants de cette terre, éloignez-vous, et qu’Allah vous fasse
« miséricorde! Nous allons nous fixer ici. » — Il répéta trois jours de
suite cette sommation, et toutes les bêtes sauvages lui cédèrent le
terrain. Pendant trois jours, lions, panthères, sangliers et hiboux
s’enfuirent par bandes avec leurs petits. Le conquérant dit alors au
peuple assemblé : « Voici votre Kairouan! (station de caravanes,
ou mieux place d’armes, camp retranché). » C’était en l’an 50 de
l’hégire (675).

Par malheur, la vermine et les scorpions sont revenus depuis à
Kairouan. La Mecque n’est certes pas plus austère. L’absence de
verdure, même dans l’enceinte, et le manque d’eau courante donnent
à la ville et à la banlieue de Kairouan un aspect désolé qui n’a pas
d’analogue. Brusquement, à partir du pied des murailles, commence
un désert répulsif et maussade, une ceinture d’affreux cimetières et
de gazons piétinés. Nulle collaboration de la nature : un tas de
chaux, une oeuvre de l’obstination humaine dressée, —contre le vœu
des éléments, t— au milieu du steppe. Nous sommes devant la
principale ville d’un peuple de nomades et de pasteurs à demi fixés.
Or, les peuples pasteurs n’ont pas d’arbres 1 2, pas d’ombrages; les
troupeaux détruisent tout, aussi sûrement que les sauterelles;
surtout, ils salissent le sol et l’exhaussent. Kairouan est littérale-
ment environné d’un cordon de hauts monticules qui ne sont que des
amas de bouses et d’ordures. Aux alentours des abreuvoirs et devant
les portes, on voit nettement le cône de fiente déposé par les armées
de bétail qui s’y pressent chaque soir, et parles caravanes que Sidi-

1. Okba, suivant les uns, aurait demandé à Dieu que sa ville ne fût jamais ni
prise d’assaut ni pillée. « Récits apocryphes! » disent les autres, car l’histoire a
montré que Kairouan fut bien des fois pris et pillé. Voilà un bel exemple de
démonstration par l’absurde.

2. « A Kairouan, il n’y a pas d’autre bois à brûler que celui qu’on coupe aux
oliviers des environs », dit El Bekri. Ces oliviers sont détruits. On comprend bien,
à Kairouan, que le mot arabe souad « noir » désigne une forêt. Le moindre groupe
d’arbres fait tache dans l’uniformité de la plaine.
 
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