LES SALONS DE 1892.
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architecturales. Bien rares sont les œuvres qui satisfont à cette triple
nécessité. Les maîtres eux-mêmes n’arrivent parfois qu’à remplir un
ou deux points du programme. Pour prendre un exemple célèbre, le
groupe de la Danse, si on l’envisage isolément, peut passer pour un
des chefs-d’œuvre de Carpeaux : rien ne rend mieux l’ivresse et le
plaisir frénétique d’une ronde tourbillonnante. Si on l’examine à
distance sur la façade de l’Opéra, on reconnaîtra que les lignes
onduleuses et enchevêtrées des bacchantes rompent les aplombs
verticaux des assises et produisent de ce côté une sorte de gauchis-
sement.
Au contraire, entrez à Nantes dans la cathédrale et regardez les
quatre figures que M. Paul Dubois a groupées autour du Tombeau de
Lamoricière : chacune d’elles pourrait être détachée de l’ensemble et
figurer dans un musée comme une des plus remarquables productions
de la sculpture contemporaine, et cependant elle y perdrait une
grande partie de sa valeur, car on ne verrait plus par quels liens
étroits elle se rattache à ses voisines et au monument lui-même,
quelle veillée solennelle font autour du soldat endormi ces gardiens
pensifs ou priant. Voyez encore la Jeunesse de Chapu à l’Ecole des
Beaux-Arts, le bas-relief de Rude sur l’Arc de Triomphe. Entrez plus
avant dans notre histoire artistique; étudiez les Cariatides de Puget
à Toulon, les portails de nos cathédrales gothiques. Remontez
jusqu’aux anciens, rappelez-vous la colonne Trajane, le Parthénon
et le temple d’Egine, les monstrueux taureaux des palais assyriens,
les sphinx de l’Egypte. Là, vous trouverez encore sous les formes les
plus diverses l’accord réalisé entre la plastique et la construction, le
symbole architectural expliqué et complété par la pensée du sculpteur.
Les Salons de cette année laisseront-ils après eux quelque
exemple mémorable du genre? Je n’ose l’espérer. Les esprits ne se
sont point haussés à de géniales combinaisons et, en général, la
collaboration s’est réduite à apporter une statue ou un groupe d’une
part, un piédestal, une fontaine ou une niche de l’autre. Ce sont deux
corps de métiers qui s’assistent mutuellement; ce ne sont point deux
arts qui se concertent. L’effort de M. Peynot a été considérable et, à
cet égard, il est juste de nommer avant tous le laborieux artiste qui,
aux Champs-Elysées, n’expose pas moins de deux grands monuments,
comprenant une quinzaine de figures plus grandes que nature. Une
étiquette nous prévient que les Quatre parties du monde, destinées au
château de Yaux-le-Vicomte, sont conçues .dans le style Louis XIV,
ce qui explique l’allure pompeuse des modèles, dépourvus de toute
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architecturales. Bien rares sont les œuvres qui satisfont à cette triple
nécessité. Les maîtres eux-mêmes n’arrivent parfois qu’à remplir un
ou deux points du programme. Pour prendre un exemple célèbre, le
groupe de la Danse, si on l’envisage isolément, peut passer pour un
des chefs-d’œuvre de Carpeaux : rien ne rend mieux l’ivresse et le
plaisir frénétique d’une ronde tourbillonnante. Si on l’examine à
distance sur la façade de l’Opéra, on reconnaîtra que les lignes
onduleuses et enchevêtrées des bacchantes rompent les aplombs
verticaux des assises et produisent de ce côté une sorte de gauchis-
sement.
Au contraire, entrez à Nantes dans la cathédrale et regardez les
quatre figures que M. Paul Dubois a groupées autour du Tombeau de
Lamoricière : chacune d’elles pourrait être détachée de l’ensemble et
figurer dans un musée comme une des plus remarquables productions
de la sculpture contemporaine, et cependant elle y perdrait une
grande partie de sa valeur, car on ne verrait plus par quels liens
étroits elle se rattache à ses voisines et au monument lui-même,
quelle veillée solennelle font autour du soldat endormi ces gardiens
pensifs ou priant. Voyez encore la Jeunesse de Chapu à l’Ecole des
Beaux-Arts, le bas-relief de Rude sur l’Arc de Triomphe. Entrez plus
avant dans notre histoire artistique; étudiez les Cariatides de Puget
à Toulon, les portails de nos cathédrales gothiques. Remontez
jusqu’aux anciens, rappelez-vous la colonne Trajane, le Parthénon
et le temple d’Egine, les monstrueux taureaux des palais assyriens,
les sphinx de l’Egypte. Là, vous trouverez encore sous les formes les
plus diverses l’accord réalisé entre la plastique et la construction, le
symbole architectural expliqué et complété par la pensée du sculpteur.
Les Salons de cette année laisseront-ils après eux quelque
exemple mémorable du genre? Je n’ose l’espérer. Les esprits ne se
sont point haussés à de géniales combinaisons et, en général, la
collaboration s’est réduite à apporter une statue ou un groupe d’une
part, un piédestal, une fontaine ou une niche de l’autre. Ce sont deux
corps de métiers qui s’assistent mutuellement; ce ne sont point deux
arts qui se concertent. L’effort de M. Peynot a été considérable et, à
cet égard, il est juste de nommer avant tous le laborieux artiste qui,
aux Champs-Elysées, n’expose pas moins de deux grands monuments,
comprenant une quinzaine de figures plus grandes que nature. Une
étiquette nous prévient que les Quatre parties du monde, destinées au
château de Yaux-le-Vicomte, sont conçues .dans le style Louis XIV,
ce qui explique l’allure pompeuse des modèles, dépourvus de toute