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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
publiquement les commissaires et leur remit une médaille, où l’image de la France
se trouvait gravée, en même temps que cette légende : « Les sciences et les arts
reconnaissants ». Thouin remercia les Directeurs au nom de ses collègues et
acclama la Liberté, « cette vengeresse des arts longtemps humiliés, qui a brisé les
chaînes de la renommée de tant de morts fameux. » Alors seulement les chefs-
d’œuvre prirent le chemin du Louvre.
Au musée, on déploie une activité fébrile. Le 18 pluviôse an VI (6 février 1798),
on avait déjà pu montrer les peintures de Parme, de Plaisance, de Milan, de
Crémone, de Modène, de Cento et de Bologne ; le 18 brumaire an VIII (9 novem-
bre 1799), ce sont celles de Venise, de Vérone, de Mantoue, de Pesaro, de Fano,
de Lorette et de Rome qui les remplacent.
Le 28 ventôse an VIII (19 mars 1800), aux envois précédents viennent se
joindre ceux de Florence et de Turin.
Le musée, un moment fermé pour cause de réparations, rouvrit le 18 ger-
minal an VII (7 avril 1799). Le Grand Salon était réservé aux peintures italiennes,
la première partie de la Grande Galerie aux tableaux français et flamands. Deux
ans après, le 25 messidor an IX (14 juillet 1801), la deuxième partie de la galerie
étant disponible, l’école italienne y trouve place à son tour et le Salon Carré sert
d’exposition aux grandes toiles de Rubens, de Lebrun, de Veronèse, dont on
admire Les Noces de Cana. La Galerie d’Apollon est destinée à l’exposition des
dessins. C’est là qu’on trouve le carton de l'École d’Athènes, de Raphaël, enlevé
de Milan et restauré par Lebrun et Moreau le jeune.
Mais ces chefs-d’œuvre semblent rajeunis aux yeux des amateurs et des
artistes qui les avaient entrevus dans les expositions temporaires qui suivaient
l’arrivée de chaque convoi. Tels d’entre eux, comme la Vierge de Foligno, de
Raphaël, le Martyre de saint Pierre dominicain, de Titien1, détruits par les vers,
tout écaillés, semblaient devoir disparaître à tout jamais. Le rentoileur du musée,
Hacquin, successeur de Picault, dont les procédés mystérieux jusqu’alors sont
minutieusement décrits dans la notice du 18 ventôse an X, les a rendus à la vie.
Et ces soins seront, au jour de la débâcle, la grande fierté de Denon, qui pourra
dire que la France, en enlevant leurs trésors aux puissances étrangères, leur a
appris à les soigner et à les aimer2.
Mais ce n’est pas encore là toutes les richesses de la République. Encore deux
mois d’attente et, le 18 brumaire an IX, sera ouvert le musée des Antiques.
CHARLES SAUNIER
(La suite prochainement.)
1. Ce tableau, qui passait pour le plus beau de son auteur, n'existe plus. Il a été brûlé à Venise, dans la
nuit du 15 au 16 août 1867, lors de l'incendie de la chapelle du Rosaire, attenant à l’église San Giovanni e
Paolo. Une copie faite par Appert se trouve à l’École des Beaux-Arts de Paris.
2. En 1813, les Loges de Raphaël, jusque-là exposées aux intempéries, sont, par les soins du gouverne-
ment français, fermées par un vitrage. Cette mesure avait été provoquée par un rapport de Millin, sur les
dégradations des monuments de Rome (1812). Archives nationales. F17 1279.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
publiquement les commissaires et leur remit une médaille, où l’image de la France
se trouvait gravée, en même temps que cette légende : « Les sciences et les arts
reconnaissants ». Thouin remercia les Directeurs au nom de ses collègues et
acclama la Liberté, « cette vengeresse des arts longtemps humiliés, qui a brisé les
chaînes de la renommée de tant de morts fameux. » Alors seulement les chefs-
d’œuvre prirent le chemin du Louvre.
Au musée, on déploie une activité fébrile. Le 18 pluviôse an VI (6 février 1798),
on avait déjà pu montrer les peintures de Parme, de Plaisance, de Milan, de
Crémone, de Modène, de Cento et de Bologne ; le 18 brumaire an VIII (9 novem-
bre 1799), ce sont celles de Venise, de Vérone, de Mantoue, de Pesaro, de Fano,
de Lorette et de Rome qui les remplacent.
Le 28 ventôse an VIII (19 mars 1800), aux envois précédents viennent se
joindre ceux de Florence et de Turin.
Le musée, un moment fermé pour cause de réparations, rouvrit le 18 ger-
minal an VII (7 avril 1799). Le Grand Salon était réservé aux peintures italiennes,
la première partie de la Grande Galerie aux tableaux français et flamands. Deux
ans après, le 25 messidor an IX (14 juillet 1801), la deuxième partie de la galerie
étant disponible, l’école italienne y trouve place à son tour et le Salon Carré sert
d’exposition aux grandes toiles de Rubens, de Lebrun, de Veronèse, dont on
admire Les Noces de Cana. La Galerie d’Apollon est destinée à l’exposition des
dessins. C’est là qu’on trouve le carton de l'École d’Athènes, de Raphaël, enlevé
de Milan et restauré par Lebrun et Moreau le jeune.
Mais ces chefs-d’œuvre semblent rajeunis aux yeux des amateurs et des
artistes qui les avaient entrevus dans les expositions temporaires qui suivaient
l’arrivée de chaque convoi. Tels d’entre eux, comme la Vierge de Foligno, de
Raphaël, le Martyre de saint Pierre dominicain, de Titien1, détruits par les vers,
tout écaillés, semblaient devoir disparaître à tout jamais. Le rentoileur du musée,
Hacquin, successeur de Picault, dont les procédés mystérieux jusqu’alors sont
minutieusement décrits dans la notice du 18 ventôse an X, les a rendus à la vie.
Et ces soins seront, au jour de la débâcle, la grande fierté de Denon, qui pourra
dire que la France, en enlevant leurs trésors aux puissances étrangères, leur a
appris à les soigner et à les aimer2.
Mais ce n’est pas encore là toutes les richesses de la République. Encore deux
mois d’attente et, le 18 brumaire an IX, sera ouvert le musée des Antiques.
CHARLES SAUNIER
(La suite prochainement.)
1. Ce tableau, qui passait pour le plus beau de son auteur, n'existe plus. Il a été brûlé à Venise, dans la
nuit du 15 au 16 août 1867, lors de l'incendie de la chapelle du Rosaire, attenant à l’église San Giovanni e
Paolo. Une copie faite par Appert se trouve à l’École des Beaux-Arts de Paris.
2. En 1813, les Loges de Raphaël, jusque-là exposées aux intempéries, sont, par les soins du gouverne-
ment français, fermées par un vitrage. Cette mesure avait été provoquée par un rapport de Millin, sur les
dégradations des monuments de Rome (1812). Archives nationales. F17 1279.