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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
le comte le pria de se rasseoir et de ne point se déranger; mais le
peintre n’en voulut rien faire, et montra tous ses travaux, ceux qui
n’étaient qu’ébauchés, comme ceux qui étaient achevés. En même
temps, il donnait ordre à ses élèves d’apporter à déjeuner aux visi-
teurs. Mais le comte alla lui-même au garde-manger, se servant de
ce qu'il y trouva. La suite imita son exemple, et l’on vida à la ronde
un pot de bière... Quand vint l’après-midi, le peintre se fit un devoir
d’offrir à ses visiteurs un repas en règle, et il prit place à table avec
eux. Car ils le tenaient en haute estime, comme il a été dit déjà... »
L’indépendance, la dignité, la fidélité de Jan Mostaert, tout le
sérieux de sa loyauté chevaleresque, apparaissent dans ce dernier
trait : « Un assure que Jean de Mabuse sollicita le concours de Mos-
taert pour son grand retable de l’abbaye de Middelbourg. Mais
celui-ci refusa, par la raison qu’il était tout au service d’une grande
dame ou d’une princesse, dont ses descendants possèdent un écrit
établissant que Mostaert est nommé un de ses gentilshommes». Le
fait est-il vrai ou non? Peu importe. Il suffit que le bruit en ait couru
pour nous montrer quelle atmosphère morale l’artiste avait su créer
autour de lui, et quel cas les gens les plus qualifiés faisaient à la fois
de son talent, de son caractère et de son esprit : trois choses, dont
deux seules se trouvent même si rarement associées chez un
homme. « Mostaert avait le jugement sain. C’était un peintre émi-
nent. Martin Hccmskerk affirmait qu'il surpassait tous les autres
maîtres qu’il avait connus, dans l’art de mener un travail à bonne
fin... Bien vu, suivant la cour dans ses diverses résidences, il con-
serva sa charge pendant dix-huit ans, produisant un grand nombre
d’œuvres, faisant les portraits des seigneurs et des dames en maître
qu’il était, et saisissant la ressemblance d’une manière si extraor-
dinaire, qu’on eût dit que les personnages vivaient sur la toile ».
Chez ce Solario néerlandais, il y avait encore du Moroni.
Je viens d’épuiser, ou peu s’en faut, la somme des renseigne-
ments canalisés par van Mander. Nous voudrions en savoir plus
est peu probable qu'il s’agisse là de la Toison d’or, distinction rare, exception-
nelle. Le portrait d’homme du musée de Berlin ne nous montre qu’une
« enseigne » au chapeau, figurant l’Annonciation. Le nôtre offre aussi une
« enseigne » avec Marie portant Jésus, et ces mots*: Maria mater gratiæ. Tant de
marques du culte rendu à la Vierge répondent bien à la dévotion particulière,
au mysticime tout espagnol de notre peintre et des Flandres à cette époque,
surtout depuis que Louis XI avait mis ce culte à la mode.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
le comte le pria de se rasseoir et de ne point se déranger; mais le
peintre n’en voulut rien faire, et montra tous ses travaux, ceux qui
n’étaient qu’ébauchés, comme ceux qui étaient achevés. En même
temps, il donnait ordre à ses élèves d’apporter à déjeuner aux visi-
teurs. Mais le comte alla lui-même au garde-manger, se servant de
ce qu'il y trouva. La suite imita son exemple, et l’on vida à la ronde
un pot de bière... Quand vint l’après-midi, le peintre se fit un devoir
d’offrir à ses visiteurs un repas en règle, et il prit place à table avec
eux. Car ils le tenaient en haute estime, comme il a été dit déjà... »
L’indépendance, la dignité, la fidélité de Jan Mostaert, tout le
sérieux de sa loyauté chevaleresque, apparaissent dans ce dernier
trait : « Un assure que Jean de Mabuse sollicita le concours de Mos-
taert pour son grand retable de l’abbaye de Middelbourg. Mais
celui-ci refusa, par la raison qu’il était tout au service d’une grande
dame ou d’une princesse, dont ses descendants possèdent un écrit
établissant que Mostaert est nommé un de ses gentilshommes». Le
fait est-il vrai ou non? Peu importe. Il suffit que le bruit en ait couru
pour nous montrer quelle atmosphère morale l’artiste avait su créer
autour de lui, et quel cas les gens les plus qualifiés faisaient à la fois
de son talent, de son caractère et de son esprit : trois choses, dont
deux seules se trouvent même si rarement associées chez un
homme. « Mostaert avait le jugement sain. C’était un peintre émi-
nent. Martin Hccmskerk affirmait qu'il surpassait tous les autres
maîtres qu’il avait connus, dans l’art de mener un travail à bonne
fin... Bien vu, suivant la cour dans ses diverses résidences, il con-
serva sa charge pendant dix-huit ans, produisant un grand nombre
d’œuvres, faisant les portraits des seigneurs et des dames en maître
qu’il était, et saisissant la ressemblance d’une manière si extraor-
dinaire, qu’on eût dit que les personnages vivaient sur la toile ».
Chez ce Solario néerlandais, il y avait encore du Moroni.
Je viens d’épuiser, ou peu s’en faut, la somme des renseigne-
ments canalisés par van Mander. Nous voudrions en savoir plus
est peu probable qu'il s’agisse là de la Toison d’or, distinction rare, exception-
nelle. Le portrait d’homme du musée de Berlin ne nous montre qu’une
« enseigne » au chapeau, figurant l’Annonciation. Le nôtre offre aussi une
« enseigne » avec Marie portant Jésus, et ces mots*: Maria mater gratiæ. Tant de
marques du culte rendu à la Vierge répondent bien à la dévotion particulière,
au mysticime tout espagnol de notre peintre et des Flandres à cette époque,
surtout depuis que Louis XI avait mis ce culte à la mode.