LA FLORE SCULPTURALE AU MOYEN AGE
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sud et nord de Sentis, le grand portail de Tours sont des merveilles.
Dans la région parisienne, on trouve aussi des portails de toute
beauté, tel celui de Longjumeau. Enfin, la petite église de Brou est
un bijou connu de tous les artistes et de tous les archéologues.
Remarquons, en finissant, que dans la flore sculpturale des trois
périodes gothiques, la feuille est tout, la fleur n’est rien ou presque
rien : à part le bouton d’or, fleur de la renoncule, à part la rose et
la violette, on ne voit guère d’autres fleurs mêlées aux feuillages.
Telle est la synthèse, tel est le résumé de notre flore nationale
sculptée dans nos édifices gothiques du moyen âge.
L’antiquité avait mis sur ses chapiteaux l’acanthe, l’olivier, le
laurier et le chêne. Le génie de nos artistes fut plus fécond. Non
seulement ils reproduisirent dans leurs œuvres un plus grand
nombre de plantes, mais encore de chaque plante ils surent tirer les
motifs les plus variés. Aussi pas un chapiteau qui ressemble à un
autre. On a dit qu’ils avaient jeté sur les piliers de nos cathédrales
toutes les feuilles de nos champs, de nos prés et de nos bois. Cela
est très poétique, et aussi fort exagéré. Cependant, il faut avouer que
les feuilles qu’ils ont prises pour modèles formeraient un herbier
assez volumineux. De plus, en modifiant leurs manières de rendre les
feuilles selon les évolutions de l’architecture elle-même, nos sculp-
teurs du moyen âge nous ont permis de dater aujourd'hui des monu-
ments ou des parties de monuments dont les formes architecturales
pourraient paraître douteuses, et de dire : ceci est du xuc siècle, ceci
est du xme, ceci est du xive, ceci est du xve. Maintenant, comme
grandeur de composition, il est évident, pour tout esprit impartial,
que le chapiteau des xne et xme siècles l’emporte sur le chapiteau
antique. Prenez le plus beau chapiteau d’acanthe d’Athènes ou de
Rome, placez-le à côté d’un chapiteau de nénuphar, de fougère, de
vigne, de trèfle ou de chélidoine de Notre-Dame de Paris, et pro-
noncez! En ce qui touche l’exécution, qui donc pourrait dire que le
ciseau français, celui de Paris, de Reims, d’Amiens ou de Bourges,
fut inférieur au ciseau grec ou romain? L’antiquité a la première
trouvé le beau, cela est vrai, indiscutable; mais le moyen âge, qui
avait une nouvelle création à faire, celle de l’art chrétien, de l’art
national, l’a trouvé aussi, et l’on peut dire avec vérité qu’il a su
donner à ses œuvres une majesté, et surtout une variété, que ne
connurent jamais les temples de Rome ou d’Athènes.
ÉMILE LAMBIN
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sud et nord de Sentis, le grand portail de Tours sont des merveilles.
Dans la région parisienne, on trouve aussi des portails de toute
beauté, tel celui de Longjumeau. Enfin, la petite église de Brou est
un bijou connu de tous les artistes et de tous les archéologues.
Remarquons, en finissant, que dans la flore sculpturale des trois
périodes gothiques, la feuille est tout, la fleur n’est rien ou presque
rien : à part le bouton d’or, fleur de la renoncule, à part la rose et
la violette, on ne voit guère d’autres fleurs mêlées aux feuillages.
Telle est la synthèse, tel est le résumé de notre flore nationale
sculptée dans nos édifices gothiques du moyen âge.
L’antiquité avait mis sur ses chapiteaux l’acanthe, l’olivier, le
laurier et le chêne. Le génie de nos artistes fut plus fécond. Non
seulement ils reproduisirent dans leurs œuvres un plus grand
nombre de plantes, mais encore de chaque plante ils surent tirer les
motifs les plus variés. Aussi pas un chapiteau qui ressemble à un
autre. On a dit qu’ils avaient jeté sur les piliers de nos cathédrales
toutes les feuilles de nos champs, de nos prés et de nos bois. Cela
est très poétique, et aussi fort exagéré. Cependant, il faut avouer que
les feuilles qu’ils ont prises pour modèles formeraient un herbier
assez volumineux. De plus, en modifiant leurs manières de rendre les
feuilles selon les évolutions de l’architecture elle-même, nos sculp-
teurs du moyen âge nous ont permis de dater aujourd'hui des monu-
ments ou des parties de monuments dont les formes architecturales
pourraient paraître douteuses, et de dire : ceci est du xuc siècle, ceci
est du xme, ceci est du xive, ceci est du xve. Maintenant, comme
grandeur de composition, il est évident, pour tout esprit impartial,
que le chapiteau des xne et xme siècles l’emporte sur le chapiteau
antique. Prenez le plus beau chapiteau d’acanthe d’Athènes ou de
Rome, placez-le à côté d’un chapiteau de nénuphar, de fougère, de
vigne, de trèfle ou de chélidoine de Notre-Dame de Paris, et pro-
noncez! En ce qui touche l’exécution, qui donc pourrait dire que le
ciseau français, celui de Paris, de Reims, d’Amiens ou de Bourges,
fut inférieur au ciseau grec ou romain? L’antiquité a la première
trouvé le beau, cela est vrai, indiscutable; mais le moyen âge, qui
avait une nouvelle création à faire, celle de l’art chrétien, de l’art
national, l’a trouvé aussi, et l’on peut dire avec vérité qu’il a su
donner à ses œuvres une majesté, et surtout une variété, que ne
connurent jamais les temples de Rome ou d’Athènes.
ÉMILE LAMBIN