LES SALONS DE 1899
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patience, l’instabilité extrême. Ce ne sont pas gens qui s’installent
devant les choses. Ils sont eux-mêmes, « mobiles comme l’eau » ; et
c’est pourquoi ils détaillent si bien ce changeant miroir de leurs
faces changeantes.
III. — LES HEURES, PRINCIPALEMENT DU SOIR ET DE LA NUIT.
Par la même raison que nous venons de dire, ils suivent à la
piste les heures qui fuient, renouvelant sans cesse les apparences de
Lunivers. Le vêtement lumineux, muable, des objets les intéresse
plus que ne fait leur substance,, et rien n’est plus caractéristique,
sur ce point, que les séries des Meules et des Cathédrales de M. Claude
Monet, où ce vêtement lumineux est considéré en lui-même, de
sorte que, dès qu’il est renouvelé, les mêmes objets apparaissent
nouveaux... Et par la même raison encore, de ces heures successives,
nous préférons à présent les rplus étouffées, celles du soir ou de
l’aube: alors, les silhouettes se brouillent, plus rien ne reste que des
taches grises, bleues, phosphorescentes, des fantômes de la réalité ;
les surfaces colorées ne sont plus cernées, et tout le succès de la
peinture n’est que de saisir la note juste de l’atmosphère en ce bref
instant. Il est remarquable qu’à la présente exposition l’on ne puisse
presque plus dénombrer les notations de la nature vespérale et
nocturne. J’en ai relevé plus de quarante, et chacune si délicate,
qu’il n’y a presque point de redite.
Il faut, pour être bon peintre de soirs, des yeux fins, ainsi
qu’une mémoire très exercée. Les quelques artistes que forma
Lecoq de Boisbaudran par sa méthode du « dessin de mémoire »
marquèrent donc au premier rang dans cette spécialité. Je vois
encore une très belle étude de Bastien-Lepage sur des peupliers le
long d’une route, la nuit. Aujourd’hui M. Cazin est le maître des
contemplateurs du crépuscule. Il nous a rendus attentifs aux basses
maisons brunes dont la fenêtre s’éclaire pour la veillée, aux rues de
village élargies, après le couvre-feu, par l’absence des passants coutu-
miers, à la vacuité de la campagne, à l’air d’abandon et d’attente que
prend le ciel avant que les étoiles ne commencent d’y poindre. Tou-
jours ce sont des lieux habités, des cultures, ou, si c’est quelque
dune sauvage, une chaumière, une tuilerie, une masure, s’y montre,
pour que l’homme ne soit pas oublié et qu’il remplisse de son sou-
venir encore cette nature d’où il est retiré.Le pauvre journalier n’est
pas ici ; mais on respire son voisinage, et le spectacle des calmes
splendeurs du ciel est mêlé de cet attendrissement secret que
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patience, l’instabilité extrême. Ce ne sont pas gens qui s’installent
devant les choses. Ils sont eux-mêmes, « mobiles comme l’eau » ; et
c’est pourquoi ils détaillent si bien ce changeant miroir de leurs
faces changeantes.
III. — LES HEURES, PRINCIPALEMENT DU SOIR ET DE LA NUIT.
Par la même raison que nous venons de dire, ils suivent à la
piste les heures qui fuient, renouvelant sans cesse les apparences de
Lunivers. Le vêtement lumineux, muable, des objets les intéresse
plus que ne fait leur substance,, et rien n’est plus caractéristique,
sur ce point, que les séries des Meules et des Cathédrales de M. Claude
Monet, où ce vêtement lumineux est considéré en lui-même, de
sorte que, dès qu’il est renouvelé, les mêmes objets apparaissent
nouveaux... Et par la même raison encore, de ces heures successives,
nous préférons à présent les rplus étouffées, celles du soir ou de
l’aube: alors, les silhouettes se brouillent, plus rien ne reste que des
taches grises, bleues, phosphorescentes, des fantômes de la réalité ;
les surfaces colorées ne sont plus cernées, et tout le succès de la
peinture n’est que de saisir la note juste de l’atmosphère en ce bref
instant. Il est remarquable qu’à la présente exposition l’on ne puisse
presque plus dénombrer les notations de la nature vespérale et
nocturne. J’en ai relevé plus de quarante, et chacune si délicate,
qu’il n’y a presque point de redite.
Il faut, pour être bon peintre de soirs, des yeux fins, ainsi
qu’une mémoire très exercée. Les quelques artistes que forma
Lecoq de Boisbaudran par sa méthode du « dessin de mémoire »
marquèrent donc au premier rang dans cette spécialité. Je vois
encore une très belle étude de Bastien-Lepage sur des peupliers le
long d’une route, la nuit. Aujourd’hui M. Cazin est le maître des
contemplateurs du crépuscule. Il nous a rendus attentifs aux basses
maisons brunes dont la fenêtre s’éclaire pour la veillée, aux rues de
village élargies, après le couvre-feu, par l’absence des passants coutu-
miers, à la vacuité de la campagne, à l’air d’abandon et d’attente que
prend le ciel avant que les étoiles ne commencent d’y poindre. Tou-
jours ce sont des lieux habités, des cultures, ou, si c’est quelque
dune sauvage, une chaumière, une tuilerie, une masure, s’y montre,
pour que l’homme ne soit pas oublié et qu’il remplisse de son sou-
venir encore cette nature d’où il est retiré.Le pauvre journalier n’est
pas ici ; mais on respire son voisinage, et le spectacle des calmes
splendeurs du ciel est mêlé de cet attendrissement secret que