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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 36.1906

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Nr. 2
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Kahn, Gustave: Alfred Agache: artistes contemporains
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https://doi.org/10.11588/diglit.24818#0147

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

pitié, elle regarde au loin sans percevoir la clameur des misérables
couchés à ses pieds, sans entendre leurs doléances navrées, car elle est
une vierge impassible qui ne sait de quelles réalités elle est faite,
mais qui obéit au déterminisme autoritaire qui la fit naître d’an-
ciennes lois calculées pour des ensembles de faits et de vies
différents.

La Fortune est le plus populaire des grands tableaux d’Alfred
Agache. 11 le doit sans doute à ce que sa composition est plus touffue,
et aussi que nulle part ailleurs l’artiste n’a su incarner mieux son
rêve de fatalité, de force aveugle et puissante que dans cette face de
la Fortune, si brutale et si tragique dans son immobilité silencieuse.
Entre deux colonnes qui suffisent à évoquer les Temples comme les
Bourses et tout l’ensemble dur et solide des vieilles constructions
de la civilisation dans son ambition de faire éternel, la Fortune est
assise, murée dans son silence et dans son impassibilité, et derrière
elle c'est une roue, la forte roue de la loterie de la vie et surtout de
l’engrenage implacable des forces, de leur mécanisme infrangible,
silencieux et fatal. Le parallélisme est établi entre cette force im-
passible et aveugle et la force des organismes qui broient toute résis-
tance à leur jeu. Et autour de cette surdité et de cette cécité c’est
l’acclamation, l’hommage et la supplication des sages, des guerriers
et des humbles; c’est le cri de joie ardente et plein d’espoir de ceux
qui viennent vers la fortune en brandissant des drapeaux conquis
pendant que sonnent les trompettes de la Renommée ; c’est l’implo-
ration des prélats comme de l'humble ouvrière, du soldat blessé
comme de l’aveugle errant, du clerc rusé et de l’enfant qui vient
s’écraser contre l’énorme piédestal où se dresse l’idole, insensible
dans ses draperies d’or roide et de pourpre souveraine.

Trois ans seulement séparent les Parques et la Fortune, C’est
indiquer que, dès 1885, l’artiste avait conquis sa maîtrise, car la For-
tune compte parmi ses œuvres les plus solides, et seule la dépasse
résolument ce tableau: le Deuil. Aussi d'une toile à l’autre on peut
mesurer le terrain conquis et noter les différences. Aujourd’hui le
peintre, déjà si heureusement schématique dans la Fortune, abré-
gerait encore. De même que le sculpteur, par le seul modelé d’une
forme, veut faire comprendre les causes extérieures de la joie et de
la douleur qui sont à travers son personnage les héros, les sujets de
son groupe ou de sa statue, de même Alfred Agache voudrait par
les figures seules de ses entités traduire les sentiments de l’huma-
nité à leur contact, sous le souffle de ces grandes forces de fatalité;
 
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