LE VAN EYCK DE BRUGES
UNE LETTRE DE GAMBETTA
ai trouvé dans les papiers de Gam-
betta, quand je les ai dépouillés
après sa mort, une lettre de son
écriture, signée de son prénom,
adressée à une femme du nom de
Ninette, datée simplement, sans
indication de mois ni d’année :
« Bruges, mardi soir, 4 h. 1/2 », et
qui contient une description vrai-
ment admirable de ce chef-d’œuvre
de Joan van Eyck, La Vierge et
saint Donatien. Comment cette lettre jaunie était-elle revenue à
Gambetta? l’avait-il redemandée à « Ninette »? Qui était cette
« Ninette » à qui il éprouvait le besoin de jeter, toute chaude et
toute vibrante, en sortant du musée, sa joie d’artiste? En quelle
année était-il allé à Bruges? Autant de questions auxquelles, malgré
mes recherches, il m’est impossible de répondre. Il est certain seu-
lement que la lettre, d’une inspiration d’ailleurs très juvénile, est
antérieure à la chute de l’Empire, car nous connaissons les voyages
que Gambetta a faits depuis la guerre et cette lettre ne peut se rap-
porter à aucun d’eux. Je la croirais volontiers des environs de 1865 :
Bruges, mardi soir, i h. 1/2.
Ma chère Ninette,
Me voici, de nouveau, perdu à la barrière de Bruges. Je rentre dans un
cabaret au bord de l’eau; cette bicoque s’appelle Tivoli, du nom de la plus
charmante villa de Rome. J'entre et je vais t'écrire ou, pour mieux dire, je
vais te parler tout bas. La plume est détestable, mais la langue me démange,
UNE LETTRE DE GAMBETTA
ai trouvé dans les papiers de Gam-
betta, quand je les ai dépouillés
après sa mort, une lettre de son
écriture, signée de son prénom,
adressée à une femme du nom de
Ninette, datée simplement, sans
indication de mois ni d’année :
« Bruges, mardi soir, 4 h. 1/2 », et
qui contient une description vrai-
ment admirable de ce chef-d’œuvre
de Joan van Eyck, La Vierge et
saint Donatien. Comment cette lettre jaunie était-elle revenue à
Gambetta? l’avait-il redemandée à « Ninette »? Qui était cette
« Ninette » à qui il éprouvait le besoin de jeter, toute chaude et
toute vibrante, en sortant du musée, sa joie d’artiste? En quelle
année était-il allé à Bruges? Autant de questions auxquelles, malgré
mes recherches, il m’est impossible de répondre. Il est certain seu-
lement que la lettre, d’une inspiration d’ailleurs très juvénile, est
antérieure à la chute de l’Empire, car nous connaissons les voyages
que Gambetta a faits depuis la guerre et cette lettre ne peut se rap-
porter à aucun d’eux. Je la croirais volontiers des environs de 1865 :
Bruges, mardi soir, i h. 1/2.
Ma chère Ninette,
Me voici, de nouveau, perdu à la barrière de Bruges. Je rentre dans un
cabaret au bord de l’eau; cette bicoque s’appelle Tivoli, du nom de la plus
charmante villa de Rome. J'entre et je vais t'écrire ou, pour mieux dire, je
vais te parler tout bas. La plume est détestable, mais la langue me démange,