LE « BAIN TURC » D’INGRES
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importantes. Il en changea la forme, qui, de carrée qu’elle était,
devint ronde. Certaines figures, assez peu heureuses d’ailleurs, se
trouvèrent ainsi engagées dans Ja bordure. Une autre, véritablement
défectueuse, disparut complètement : c’est celle qui, dans la pho-
tographie faite d’après le tableau primitif, est placée tout au bas
de la composition, à droite1. »
Vraiment, ce tableau semble avoir été peint pour servir de pierre
d’achoppement pour tous ceux qui tenteraient de le décrire. Sans
doute M. Delaborde n’en avait plus qu’un vague souvenir; car, non
seulement Ingres n’a engagé dans la bordure aucune des figures du
tableau primitif, sauf la femme couchée au bas, à droite, mais il
a même ajouté un groupe nouveau de trois figures, à gauche, après
la joueuse de tambourin, élargissant ainsi le tableau assez pour faire
place à une femme assise au bord du bassin, les pieds dans l’eau.
Quant à la femme couchée, queM. Delaborde trouvait, avec raison, si
défectueuse, elle a bien disparu complètement si l’on veut, mais,
en ce sens qu’elle a été peinte dans une position toute différente,
et qu’au lieu de ses jambes repliées au premier plan on ne voit
plus à la place qu’un plateau chargé de poteries diverses, et accom-
pagné de deux vases posés à côté, sur le tapis.
Ajouterai-je que l’architecture de la salle a été profondément
modifiée, qu’une potiche chinoise a pris place tout au fond, dans
une niche? Ce n’est vraiment pas la peine. Je ne retiendrai qu’un
dernier détail : la signature J. INGRES pint mdccclxu. aetatis. lxxxii;
et je 1a, note seulement pour prévenir de nouvelles erreurs chronolo-
giques, telles celle dont je me suis rendu coupable en attribuant
au tableau la date de 1864, et celle qu’a commise à son tour
M. Lapauze, en reportant cette œuvre à 18592.
Le Bain turc fut acquis en 1868, par M. Say, à la vente de Kalil-
Bey3; il appartient maintenant au prince A. de Broglie, qui, après
1. Delaborde, op. cit., p. 240.
2. Cette double erreur est aisée à comprendre : d’une part, en effet, M. Lapauze
a considéré comme définitif le tableau de 1859, qui n’était qu’une ébauche sénile,
affirme M. Delaborde, du chef-d’œuvre définitif; et, d’autre part, j’ai adopté
sans examen, dans mon petit livre sur Ingres, la date donnée par Charles Blanc,
qui, très évidemment, avait confondu la peinture de 1862 avec la Baigneuse de la
collection Bonnat. « Dessin d’arrière-saison, un peu froid de pinceau, mais très
carressé », dit Ph. de Chennevières (Gazette des Beaux-Arts, 1889, t. II,
p. 130). Elle diffère peu de la Baigneuse gravée dans YOEuvre d’Ingres; de plus
nombreuses figures occupent le fond de la scène, qu’une heureuse modification
de la ligne d’horizon a mis plus en valeur.
3. Delaborde, op. cit., p. 240.
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importantes. Il en changea la forme, qui, de carrée qu’elle était,
devint ronde. Certaines figures, assez peu heureuses d’ailleurs, se
trouvèrent ainsi engagées dans Ja bordure. Une autre, véritablement
défectueuse, disparut complètement : c’est celle qui, dans la pho-
tographie faite d’après le tableau primitif, est placée tout au bas
de la composition, à droite1. »
Vraiment, ce tableau semble avoir été peint pour servir de pierre
d’achoppement pour tous ceux qui tenteraient de le décrire. Sans
doute M. Delaborde n’en avait plus qu’un vague souvenir; car, non
seulement Ingres n’a engagé dans la bordure aucune des figures du
tableau primitif, sauf la femme couchée au bas, à droite, mais il
a même ajouté un groupe nouveau de trois figures, à gauche, après
la joueuse de tambourin, élargissant ainsi le tableau assez pour faire
place à une femme assise au bord du bassin, les pieds dans l’eau.
Quant à la femme couchée, queM. Delaborde trouvait, avec raison, si
défectueuse, elle a bien disparu complètement si l’on veut, mais,
en ce sens qu’elle a été peinte dans une position toute différente,
et qu’au lieu de ses jambes repliées au premier plan on ne voit
plus à la place qu’un plateau chargé de poteries diverses, et accom-
pagné de deux vases posés à côté, sur le tapis.
Ajouterai-je que l’architecture de la salle a été profondément
modifiée, qu’une potiche chinoise a pris place tout au fond, dans
une niche? Ce n’est vraiment pas la peine. Je ne retiendrai qu’un
dernier détail : la signature J. INGRES pint mdccclxu. aetatis. lxxxii;
et je 1a, note seulement pour prévenir de nouvelles erreurs chronolo-
giques, telles celle dont je me suis rendu coupable en attribuant
au tableau la date de 1864, et celle qu’a commise à son tour
M. Lapauze, en reportant cette œuvre à 18592.
Le Bain turc fut acquis en 1868, par M. Say, à la vente de Kalil-
Bey3; il appartient maintenant au prince A. de Broglie, qui, après
1. Delaborde, op. cit., p. 240.
2. Cette double erreur est aisée à comprendre : d’une part, en effet, M. Lapauze
a considéré comme définitif le tableau de 1859, qui n’était qu’une ébauche sénile,
affirme M. Delaborde, du chef-d’œuvre définitif; et, d’autre part, j’ai adopté
sans examen, dans mon petit livre sur Ingres, la date donnée par Charles Blanc,
qui, très évidemment, avait confondu la peinture de 1862 avec la Baigneuse de la
collection Bonnat. « Dessin d’arrière-saison, un peu froid de pinceau, mais très
carressé », dit Ph. de Chennevières (Gazette des Beaux-Arts, 1889, t. II,
p. 130). Elle diffère peu de la Baigneuse gravée dans YOEuvre d’Ingres; de plus
nombreuses figures occupent le fond de la scène, qu’une heureuse modification
de la ligne d’horizon a mis plus en valeur.
3. Delaborde, op. cit., p. 240.