Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (4. Pér. 2.1909)

LES SALONS DE 1909

65

A la poursuite de tant de chimères, il faut s’apercevoir à temps
que la peinture est à elle-même sa propre lin. Elle se mesure à la
nature et à la vie. Elle ne peut se nourrir que d’elles seules. Elle
n’a de gloire qu’à les comprendre. Le passé souffle sur elle un vent
de mort. Il ne lui donne que ce qu’elle demande : le détail des usa-
ges, des décors et des modes, tous les matériaux négligés par l’his-
toire, qui n’est elle-même une œuvre d’art que si elle peut retrouver
ce qui dure, les passions et les idées profondes, dans le cœur et dans
le cerveau des hommes.

Obstinément fidèle au genre que MM. Cormon et Rochegrosse
servent avec quelque fatigue et que MM. Boutigny, Jacquier et
M. Orange pratiquent avec une patriotique ardeur, M. Jean-Paul
Laurens reste debout, au milieu d'une estime et d’une sorte d’amitié
sans contradicteur. L’Escholier est une œuvre fraîche, libre, gaie,
qui ne marque aucune usure, ni celle du cœur, ni celle des yeux.
Quoi! vous avez, naguère, célébré nos modernistes et une immense
reculade vous conduit à Paul Dclaroche? Non pas. Dans les person-
nages de M. Jean-Paul Laurens, je ne découvre pas inévitablement
mes contemporains accoutrés de toges, de pourpoints et de dolmans.
Je puis dire que ce jeune docteur studieux, heureux comme son
chat dans l’âtre, sur ce coffre gothique que les coussins rouges ont
rendu plus hospitalier, et si savamment adossé, est un instant de la
pensée française. Ce lecteur de Platon annonce une descendance
qui lira Rabelais et Montaigne, écrira la Satire Mênippée, constituera
la bourgeoisie et fera la Révolution. Le justaucorps de velours violet,
les chausses collantes, le chaperon échancré pour l’oreille, sont, au
surplus, de bonne matière et de coloration savoureuse. Le bandeau de
drap bleu de la cheminée réchauffe et pare cette chambre nue, les
pierres et les boiseries inertes.

Je me plais à imaginer que M. J.-P. Laurens doit la verdeur de
son pinceau à une familiarité, tour à tour consentie et recherchée,
avec ces jeunes gens dont M. Lyons rapporte l’enthousiasme et la
reconnaissance. Comme il est divertissant d’entrevoir l’iniluence,
l’échange entre la discipline rigoureuse du maître et la hardiesse
moderne de l’élève, de trouver là, saisissable, profitable comme un
élément de certitude, la liaison du passé et de l’avenir!

Car, voilà opposées, heurtées, en plein choc, — comme aux
parois mêmes de ces Salons où tant de toiles se démentent et s’infir-
ment les unes les autres, à ce point étrangères entre elles, — les
théories et les techniques.Tous ces hommes sont-ils du même sol

II. — 4* PÉRIODE.

9