GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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de la galerie Lansdowne, peinture molle, lourde et sans attrait, qui
fait penser à certaines estampes de Domenico Campagnola.
Le Christ prenant congé de sa mère, prêté par M. Benson, repré-
sente, à côté de Giorgione, l’autre grand inventeur lyrique qui,
presque au même moment, et dans un autre sens, tire lui aussi de
la couleur et de la peinture une langue musicale et poétique. Le
Corrège, dans ce chef-d’œuvre de sa jeunesse, mêle avec un charme
unique de candeur l’influence encore dominante de la sérénité
bolonaise et ferraraise et du pathétique de Mantegna à son propre
génie. Dans ce trop court moment où l’agitation du mouvement ne
La pas encore saisi, voici déjà pourtant, autour de cet infranchis-
sable abîme d’un seul pas entre le Fils qui s’incline et refuse, et la
Mère qui s’avance et défaille, la modulation raffinée des courbes,
une féminité subtile qui captive jusque dans le sublime de la soli-
tude et de fa souffrance, et déjà les mains qui effleurent, et la
caresse suspendue au bout des doigts. La merveille, c’est la sensibi-
lité déjà toute musicale, à la lettre, de la couleur, le rappel et
l’écho des tons funèbres et livides de la Mère dans la campagne cré-
pusculaire et glauque, où des eaux se teintent d'une triste lueur,
c’est la modulation lamentable et tendre de la douleur dans l’atmo-
sphère où de longues clartés d’argent terni mêlées au pourpre
fumeux des vapeurs l’accompagnent et la prolongent, apaisée, dans
l’étendue.
Deux portraits de Titien : un buste de jeune homme glabre, ma-
ladif et mélancolique, coiffé d’un béret à cornes et oreillettes, vêtu
d’une pelisse fourrée de lynx, portrait découvert en 1906 (à sir Hugh
Lane)1 et le grand portrait vigoureux et austère de Giacomo Doria,
visage d’Arabe maigre, ardent et inflexible, ample robe noire, port
impérieux2, datent, celui-ci de la maturité du maître, celui-là proba-
blement de ses premières années. Le type et la mise en page du
portrait de sir Hugh dérivent encore directement des portraits virils
de Giorgione. Mais la magnifique aisance de la touche dans les
parties de vêtement donnerait à penser, peut-être, que le tableau a
été repris ou achevé plus tard. M. Claude Phillips a déjà mentionné
1. Acheté en vente chez Christie le I 2 mai 1906. Cf. Arundel Club Portfolio, 1906,
n° 16. — Cf. à une tête de jeune homme au Musée Staedel de Francfort, rep.
dans le Tizian de la coll. des « Klassiker (1er Kunst », p. 21.
2. A Sir Julius Wernher. Exposé et reconnu pour la premère fois en 1903,
Cf. Herbert Cook, Three unpublishecl italian Portraits (Burlington Magazine, 1903.
p. 185).
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de la galerie Lansdowne, peinture molle, lourde et sans attrait, qui
fait penser à certaines estampes de Domenico Campagnola.
Le Christ prenant congé de sa mère, prêté par M. Benson, repré-
sente, à côté de Giorgione, l’autre grand inventeur lyrique qui,
presque au même moment, et dans un autre sens, tire lui aussi de
la couleur et de la peinture une langue musicale et poétique. Le
Corrège, dans ce chef-d’œuvre de sa jeunesse, mêle avec un charme
unique de candeur l’influence encore dominante de la sérénité
bolonaise et ferraraise et du pathétique de Mantegna à son propre
génie. Dans ce trop court moment où l’agitation du mouvement ne
La pas encore saisi, voici déjà pourtant, autour de cet infranchis-
sable abîme d’un seul pas entre le Fils qui s’incline et refuse, et la
Mère qui s’avance et défaille, la modulation raffinée des courbes,
une féminité subtile qui captive jusque dans le sublime de la soli-
tude et de fa souffrance, et déjà les mains qui effleurent, et la
caresse suspendue au bout des doigts. La merveille, c’est la sensibi-
lité déjà toute musicale, à la lettre, de la couleur, le rappel et
l’écho des tons funèbres et livides de la Mère dans la campagne cré-
pusculaire et glauque, où des eaux se teintent d'une triste lueur,
c’est la modulation lamentable et tendre de la douleur dans l’atmo-
sphère où de longues clartés d’argent terni mêlées au pourpre
fumeux des vapeurs l’accompagnent et la prolongent, apaisée, dans
l’étendue.
Deux portraits de Titien : un buste de jeune homme glabre, ma-
ladif et mélancolique, coiffé d’un béret à cornes et oreillettes, vêtu
d’une pelisse fourrée de lynx, portrait découvert en 1906 (à sir Hugh
Lane)1 et le grand portrait vigoureux et austère de Giacomo Doria,
visage d’Arabe maigre, ardent et inflexible, ample robe noire, port
impérieux2, datent, celui-ci de la maturité du maître, celui-là proba-
blement de ses premières années. Le type et la mise en page du
portrait de sir Hugh dérivent encore directement des portraits virils
de Giorgione. Mais la magnifique aisance de la touche dans les
parties de vêtement donnerait à penser, peut-être, que le tableau a
été repris ou achevé plus tard. M. Claude Phillips a déjà mentionné
1. Acheté en vente chez Christie le I 2 mai 1906. Cf. Arundel Club Portfolio, 1906,
n° 16. — Cf. à une tête de jeune homme au Musée Staedel de Francfort, rep.
dans le Tizian de la coll. des « Klassiker (1er Kunst », p. 21.
2. A Sir Julius Wernher. Exposé et reconnu pour la premère fois en 1903,
Cf. Herbert Cook, Three unpublishecl italian Portraits (Burlington Magazine, 1903.
p. 185).