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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 3.1910

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Nr. 3
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Meier-Graefe, Julius: L' exposition d'art français du XVIIIe siècle à Berlin: correspondance d'Allemagne
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https://doi.org/10.11588/diglit.24873#0285

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264

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Cependant je ne crois pas que jamais on ait peint quelque chose de plus vrai.
Sur ces murs ont été souvent accrochées des poupées qui prétendaient figurer
des héros ou des dieux : hommes à mollets de carton, tritons de porcelaine,
sur des mers en fer-blanc, monarques à fausses barbes et à gestes de théâtre.
Watteau n’a pas songé à votre réalité, ô censeurs terre à terre. Comment
eût-il pu vivre en celte compagnie? C’est à des choses inexprimables qu’il rêvait,
déclarations d’amour pour lesquelles il inventait des « poupées » qui les porte-
raient à leurs bien-aimés. Poupées immortelles, car elles serviront d’interprètes
à tous aussi longtemps qu’existera un monde où l’on voudra exprimer l’inexpri-
mable. En ce sens, grossiers censeurs, vous avez raison : il n’y a jamais eu de
beauté semblable, en aucun siècle, pas même à l’âge d’or; les plus doux sourires
cachaient l’ennui et les soucis, la crainte de la mort était dans l’ivresse. Mais ce
à quoi l’homme n’a pas atteint, le génie l’a réalisé. Le sortilège des courtisanes
est trompeur; celui de Watteau est sincère. Voilà où est la vérité. Non dans la
petite poupée, mais dans l’étoffe dont elle est faite, dans ce rose qui réunit toutes
les douceurs des lèvres rouges, des roses rouges, dans ce bleu verdâtre emprunté
àlamer, dansce blondensoleillé deslégères boucles delà chevelure. « Amusettes! »
dira encore notre critique grincheux. — Naturellement, c’est un amusement !
O bienheureux temps où ces hommes, que vous croyez sans âme, retracent leurs
impressions avec ce sourire à peine perceptible! Ils s’amusent tous, Boucher,
Lancret, Pater, et ce fou de Fragonard, qui essayait encore ses ailes fatiguées
alors que le siècle était déjà passé. Chacun a sa façon de s’amuser, plus ou moins
gracieuse; mais on les croit tous. Et c’est là peut-être la différence avec les
peintres anglais : on ne croit pas que ceux-ci s’amusent, si saisissante que leur
magnificence puisse paraître aux esprits superficiels qui ne comprennent pas
l’amour. Ils n'ont pas ce qu’on ne peut exprimer; ils ne s’amusent qu’en appa-
rence, pour l’argent qu’ils ont reçu de leurs riches modèles, sans prendre plaisir
à ce jeu. On n’aurait pu payer Watteau, même si l'on avait acheté ses tableaux
des millions. Rien en lui ne se pouvait payer. Jamais la possession particulière
d’une œuvre d'art ne m'a paru plu? odieuse que lorsqu’il s’agit de Watteau.

Un tableau mis sous son nom, la Nymphe aux tournesols, appartenant au baron
Maurice de Rothschild, me semble bien douteux. On dirait en quelque sorte d’un
imitateur grossier de Boucher, avec la sensualité d’un descendant de Rubens,
mais sans aucune des qualités propres à Watteau. Même devant les deux célèbres
panneaux de l'Enseigne de Gersaint je suis assailli par toutes sortes de réflexions.
L’an dernier, dans la Gazette des Beaux-Arts1, M. Louis Vauxcelles a produit les
arguments suivant lesquels les panneaux de Berlin ne seraient pas l’œuvre origi-
nale peinte par Watteau pour son ami le marchand de tableaux Gersaint, mais
tout au plus une réplique, et peut-être même seulement une copie, exécutée par
Lancret. Aucun des érudits allemands n’acquiesce à cette thèse. Les deux
tableaux (qui autrefois n’en faisaient qu’un) sont d’ailleurs d’une merveilleuse
beauté; non aussi irréelle que la petite blondinette de la Danse, ni aussi piquante
que les deux autresjoyaux appartenant à l’empereur d’Allemagne : Y Amour à la
campagne et le Concert. Mais les costumes des dames qui, dans la boutique de
Gersaint, se font montrer des tableaux sont d’une beauté qui surpasse tout :

1. V. Gazette des Beaux-Arts, mars et avril 1909, p. 209 et 307.
 
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