150
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Degas que des travaux d’élève docile et la banale influence de
la tradition académique. Non, à cette époque, s’éprendre de l’idéal
qui alimentait la chimère de Gustave Moreau et qui chez Puvis de
Ghavannes engendra les plus nobles réalite's, n’était pas le fait d’un
esprit sans force.
Tandis que le visage fin de Se'miramis, ses traits menus et un
peu meurtris, font penser à certains modèles mondains des po; traits
exécutés dans le même temps, Mme Camus par exemple, les Jeunes
filles spartiates évoquent par avance les Danseuses dont Degas va
bientôt se faire le spirituel et véridique annaliste.
Sémiramis et les Jeunes filles spartiates ne marquent pourtant
que des étapes mélancoliques sur une voie bientôt abandonnée. Au
contraire, en Mlle Fiocre et en Mme Camus aupiano, nous satuons avec
un plaisir presque egal les qualite's pleinement épanouies et les
riches promesses d’avenir. MUe Fiocre célèbre déjà les prestiges du
théâtre : un costume insolite, un éclairage contraire à toute réalite',
et voilà qu’une créature plus ou moins banale, une simple jolie
femme, nous apparaît comme la reine d’un royaume féerique,
paillete', irisé; d’un paysage en carton, cette lumière de la rampe fait
de même un de'cor plus beau que les champs et les collines, et les
herbes et les feuilles de la nature.
Mme Camus est un portrait, le portrait le plus fîn et le plus
expressif; c’est aussi une scène d’intérieur où Degas emploie
pour notre délectation sa clairvoyance d’observateur et ses dons
do peintre habile à rendre la matière et la couleur des objets,
plus désireux eneore de noter les métamorphoses que leur fait
subir la lumière captive d’une chambre. La jeune femme, surprise
dans une attitude gracieuse et vraie, se retourne vers nous, tandis
qu’une de ses mains s’attarde sur le clavier dont ies touches
re'sonnent encore.
Dès ces années libres et fécondes, fort de son éducation classique,
riche de son propre fonds, ignoi’ant des restrictions que lui impo-
sera plus tard l’esthétique du naturalisme, Degas est mattre de
son art comme de sa main. S’il a he'sité devant des voies diverses
qui s’offraient à son talent, ce talent même n’a presque pas connu
les insuffisances, les inégalitès, les tâtonnements de l’apprentissage.
Degas avait vingt-six ans quand il peignit, en 1860, ce Portrait de
famille que la mort de l’artiste a seule pu faire sortir des limbes.
G’est un chef-d’œuvre surprenant pour un ouvrage de jeunesse,
tant le calme, l’autorité, l’aisance d’une vaste çomposition s’y allient
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Degas que des travaux d’élève docile et la banale influence de
la tradition académique. Non, à cette époque, s’éprendre de l’idéal
qui alimentait la chimère de Gustave Moreau et qui chez Puvis de
Ghavannes engendra les plus nobles réalite's, n’était pas le fait d’un
esprit sans force.
Tandis que le visage fin de Se'miramis, ses traits menus et un
peu meurtris, font penser à certains modèles mondains des po; traits
exécutés dans le même temps, Mme Camus par exemple, les Jeunes
filles spartiates évoquent par avance les Danseuses dont Degas va
bientôt se faire le spirituel et véridique annaliste.
Sémiramis et les Jeunes filles spartiates ne marquent pourtant
que des étapes mélancoliques sur une voie bientôt abandonnée. Au
contraire, en Mlle Fiocre et en Mme Camus aupiano, nous satuons avec
un plaisir presque egal les qualite's pleinement épanouies et les
riches promesses d’avenir. MUe Fiocre célèbre déjà les prestiges du
théâtre : un costume insolite, un éclairage contraire à toute réalite',
et voilà qu’une créature plus ou moins banale, une simple jolie
femme, nous apparaît comme la reine d’un royaume féerique,
paillete', irisé; d’un paysage en carton, cette lumière de la rampe fait
de même un de'cor plus beau que les champs et les collines, et les
herbes et les feuilles de la nature.
Mme Camus est un portrait, le portrait le plus fîn et le plus
expressif; c’est aussi une scène d’intérieur où Degas emploie
pour notre délectation sa clairvoyance d’observateur et ses dons
do peintre habile à rendre la matière et la couleur des objets,
plus désireux eneore de noter les métamorphoses que leur fait
subir la lumière captive d’une chambre. La jeune femme, surprise
dans une attitude gracieuse et vraie, se retourne vers nous, tandis
qu’une de ses mains s’attarde sur le clavier dont ies touches
re'sonnent encore.
Dès ces années libres et fécondes, fort de son éducation classique,
riche de son propre fonds, ignoi’ant des restrictions que lui impo-
sera plus tard l’esthétique du naturalisme, Degas est mattre de
son art comme de sa main. S’il a he'sité devant des voies diverses
qui s’offraient à son talent, ce talent même n’a presque pas connu
les insuffisances, les inégalitès, les tâtonnements de l’apprentissage.
Degas avait vingt-six ans quand il peignit, en 1860, ce Portrait de
famille que la mort de l’artiste a seule pu faire sortir des limbes.
G’est un chef-d’œuvre surprenant pour un ouvrage de jeunesse,
tant le calme, l’autorité, l’aisance d’une vaste çomposition s’y allient