Ume ANNEE. — N* 819 PARIS ET DEPARTEMENTS : 15 CENTIMES LE NUMERO 20 mars mi
Nous demandons pardon de donner à nos lecteurs ce qu'en argot de cuisine littéraire on appelle vulgairement " un canard ". La faute n'en est point à
nous, mais à la censure, qui n'a point encore expiré sous les coups de l'énergique majorité républicaine dont nous jouissons depuis tantôt quatre ans. Quinze
jours durant, on nous a refusé, avec une touchante unanimité, tous les dessins que nous avons présentés à ce bon M. Cazelles, magistrat défroqué, qui a gardé
toute la roideur et la morgue compassées auxquelles on reconnaît les anciens habitués de Bu/lier ayant goûté ensuite de l'inamovibilité. Ne pouvant plus
égayer les jours de nos lecteurs en leur donnant des caricatures gaies, nous essayons de leur procurer de bonnes nuits grâce à notre soporifique prose. Nous
espérons qu'ils nous pardonneront l'insuffisance de la compensation, eu égard à l'excellence de l'intention.
^■s—.......m imb»—u i -u—!—l......« ' 'imi'" i _jjililxi......-L.-_l i i i i *mmmm*.*. v ..i.. i .1 ■-»--Ljmnjjm-u-iijj 1 1.....
ATTENTAT CONTRE GAMBETTA
Le mobile du crime
Le despotisme russe n'était rien auprès de celui
sous lequel gémissait la France.
Là-bas, au moins, l'autocratie apparaît au grand
jour, dans toute sa hideur.
Ici, l'arbitraire se cache jésuitiquement sous des
dehors légaux.
Or, rien n'est plus humiliant pour un pays que
cette tyrannie hypocrite.
Et il faudrait qu'une nation soit tombée bien bas
pour la supporter.
Qu'on s'en laisse imposer par la force brutale du
knout des Cosaques et l'appareil terrifiant des con-
vois sibériens et des gibets, cela se comprend
encore.
Mais être oppressé par des gens qui se cachent,
par des jésuites rouges à la parole mielleuse, par
des mouchards félons et des avocats jacasseurs et
palinodistes, non ! Un peuple majeur, assez mûr
pour ne se point contenter du seul nom de la liberté
ne doit pas, ne peut pas se laisser ravaler ainsi.
Les Forfaits de la Victime.
Le nom du Néron occulte était depuis longtemps
sur toutes les lèvres.
Chacun savait comment ce petit avocat, après
avoir renversé l'Empire, aidé de beaucoup d'autres,
avait fini par prendre la place de Napoléon III, au
point de taper sur le ventre du prince de Galles sans
même l'appeler mon cher cousin.
Il n'avait nul autre titre que celui qu'eut jadis
Morny, mais il exerçait un pouvoir prodigieux, sans
limites, sans responsabilité et sans contrôle.
Il avait sa cour.
Autour de lui grouillaient les Arnaud de l'Ariège,
les Spuller, les Joseph lieinach, les Charles Quentin
et autres jeunes parasites attachés à la fortune du
maître, comme autrefois, à Rome, les clients à celle
des patriciens.
About lui passait la rhubarbe et Juliette Lamber
lui passait le séné.
" Tous pliaient devant lui.
Ranc lui-même, jadis si farouche, revenu d'exil,
rompait de» lances en son honneur.
Jusqu'à Naquet, l'inventeur de l'intransigeance,
qui inclinait sa caisse d'épargne dorsale devant la
bedaine du tonitruant président !
La tyrannie occulte
C'est grâce à ces complices et en faisant endosser
par eux toute la responsabilité de ses agissements
qu'î'/ tenait la France entière sous le joug.
Les députés, sachant qu'il disposait à son gré de
leur réélection, s'empressaient de ne voter que selon
ses vœux et ses désirs.
Les sénateurs, tremblant de le voir proposer la
révision de la Constitutionet la suppression du Sénat,
se mettaient à plat ventre devant lui.
Les ministres, le voyant maître du Parlement, se
réduisaient de bonne grâce au rôle de marionnettes
dont il tenait les fils.
Tous les fonctionnaires, magistrats, employés
quelconques, tenant par n'importe quel lien au gou-
vernement, tremblaient au moindre froncement de
sourcils de ce Jupiter olympien.
Et la vile multitude des contribuables, respectant
béatement tout ce qui émarge au budget, emboîtait
servilement le pas à celte tourbe de dessus de ronds
de cuir.
Châtiment des irréguliers
Et malheur à qui tentait d'avoir l'audace grande
de vouloir marcher en dehors des sentiers battus par
le maître et ses valets.
Toutes les paperasses administratives partaient en
guerre contre ces téméraires.
C'est à grands coups de petites et impitoyables tra-
casseries qu'on procédait contre eux.
Autant que possible, on protégeait leurs concur-
rents, pour tenter de les faire crever de faim, s'ils
étaient dans le commerce.
Journalistes, on leur donnait nulle annonce judi-
ciaire, nulle des réclames financières dont dispose tou-
jours un ministre des finances jouissant d'un budget
d'un milliard et demi.
Caricaturistes, on chargeait l'ancien magistrat
Cazelles de couper impitoyablement leurs plus
inoffensifs dessins, comme celui du Grelot de cette
semaine, qui représentait simplement Gambetta
sortant de l'Elysée en emportant une veste.
Par la magistrature... mais chut ! il nous est inter-
dit de même soupçonner d'imperfection l'impar-
tialité et l'impeccabilité de la magistrature que les
Sioux nous envient.
Quelqu'un faisait-il une opposition dangereuse et
menaçante ?
Un Reinach quelconque lui jetait aussitôt dans les
jambes un de ces bons petits papiers, dont Cyprien
Girerd est loin d'avoir le monopole.
Fallait-il pousser plus loin l'arbitraire ?
Andrieux était capable, au besoin, de faire arrêter
n'importe qui, sous prétexte que ce pouvait parfaite-
ment être l'assassin de la rue Blondel. Au bout de six
mois de prison préventive, jugement dans lequel le
président jouerait à son tour des petits papiers. Puis
acquittement avec conseil sévère d'avoir à ne pas
recommencer.
Au besoin même, d'adroits limiers insinuaient au
fâcheux de se déguiser en femme pour aller à un bal
masqué. Des agents de la police des mœurs l'embal-
laient avec la désinvolture usitée en semblable cir-
constance, et on le gardait ensuite à perpétuité à
Saint-Lazare, arguant de son énergique refus de se
laisser visiter au spéculum.
L'assassin
De telles abominations appelaient un châtiment
prompt autant qu'impitoyable.
Pour cela, il fallait qu'un héros se dévouât.
Ce héros se trouva rapidement.
Son nom ?
Eh! pouvez-vous ignorer le nom de ce sublime
meurtrier, qui a déjà tué Badinguet, père et fils,
Guillaume, Bismarck, Trépoff, Mourawieff et tant
d'autres oppresseurs de notre pauvre humanité ?
Louise Michel, parbleu !
Le crime.
Il n'est pas encore commis, et si nous en parlons
dès maintenant, c'est afin de prendre sur les cane-
tons quotidiens l'avance que nous retire souvent
notre mode de publicité hebdomadaire et que nous
méritons tant, grâce à notre sûreté et notre promp-
titude d'informations.
Du reste, il ne tardera pas à être consommé.
Maintenant quelles armes emploeira l'amère Mi-
chel?
Usera-t-elle du poignard ou du poison ?
Jouera-t-elle de la bombe Orsini ou du revolver
Smith et Wesson?
Recourra-t-elle à la séduction de Trompette au-
quel elle glissera des côtelettes trichinées, infailli-
bles, meurtrières, ou, usant du stratagème usité
jadis par l'avocat Féron, ira-t-elle chercher le mal
qui fit la fortune de Ricord pour le communiquer
ensuite au Lovelace séduit par ses charmes ?
On comprend notre discrétion à cet égard. Nous
sommes absolument renseignés, mais la plus petite
divulgation de notre part, arrêterait l'action de la
vengeresse.
Nousnous taisons donc, laissant, comme M. Prud'-
homme, la parole aux événements.
Nous demandons pardon de donner à nos lecteurs ce qu'en argot de cuisine littéraire on appelle vulgairement " un canard ". La faute n'en est point à
nous, mais à la censure, qui n'a point encore expiré sous les coups de l'énergique majorité républicaine dont nous jouissons depuis tantôt quatre ans. Quinze
jours durant, on nous a refusé, avec une touchante unanimité, tous les dessins que nous avons présentés à ce bon M. Cazelles, magistrat défroqué, qui a gardé
toute la roideur et la morgue compassées auxquelles on reconnaît les anciens habitués de Bu/lier ayant goûté ensuite de l'inamovibilité. Ne pouvant plus
égayer les jours de nos lecteurs en leur donnant des caricatures gaies, nous essayons de leur procurer de bonnes nuits grâce à notre soporifique prose. Nous
espérons qu'ils nous pardonneront l'insuffisance de la compensation, eu égard à l'excellence de l'intention.
^■s—.......m imb»—u i -u—!—l......« ' 'imi'" i _jjililxi......-L.-_l i i i i *mmmm*.*. v ..i.. i .1 ■-»--Ljmnjjm-u-iijj 1 1.....
ATTENTAT CONTRE GAMBETTA
Le mobile du crime
Le despotisme russe n'était rien auprès de celui
sous lequel gémissait la France.
Là-bas, au moins, l'autocratie apparaît au grand
jour, dans toute sa hideur.
Ici, l'arbitraire se cache jésuitiquement sous des
dehors légaux.
Or, rien n'est plus humiliant pour un pays que
cette tyrannie hypocrite.
Et il faudrait qu'une nation soit tombée bien bas
pour la supporter.
Qu'on s'en laisse imposer par la force brutale du
knout des Cosaques et l'appareil terrifiant des con-
vois sibériens et des gibets, cela se comprend
encore.
Mais être oppressé par des gens qui se cachent,
par des jésuites rouges à la parole mielleuse, par
des mouchards félons et des avocats jacasseurs et
palinodistes, non ! Un peuple majeur, assez mûr
pour ne se point contenter du seul nom de la liberté
ne doit pas, ne peut pas se laisser ravaler ainsi.
Les Forfaits de la Victime.
Le nom du Néron occulte était depuis longtemps
sur toutes les lèvres.
Chacun savait comment ce petit avocat, après
avoir renversé l'Empire, aidé de beaucoup d'autres,
avait fini par prendre la place de Napoléon III, au
point de taper sur le ventre du prince de Galles sans
même l'appeler mon cher cousin.
Il n'avait nul autre titre que celui qu'eut jadis
Morny, mais il exerçait un pouvoir prodigieux, sans
limites, sans responsabilité et sans contrôle.
Il avait sa cour.
Autour de lui grouillaient les Arnaud de l'Ariège,
les Spuller, les Joseph lieinach, les Charles Quentin
et autres jeunes parasites attachés à la fortune du
maître, comme autrefois, à Rome, les clients à celle
des patriciens.
About lui passait la rhubarbe et Juliette Lamber
lui passait le séné.
" Tous pliaient devant lui.
Ranc lui-même, jadis si farouche, revenu d'exil,
rompait de» lances en son honneur.
Jusqu'à Naquet, l'inventeur de l'intransigeance,
qui inclinait sa caisse d'épargne dorsale devant la
bedaine du tonitruant président !
La tyrannie occulte
C'est grâce à ces complices et en faisant endosser
par eux toute la responsabilité de ses agissements
qu'î'/ tenait la France entière sous le joug.
Les députés, sachant qu'il disposait à son gré de
leur réélection, s'empressaient de ne voter que selon
ses vœux et ses désirs.
Les sénateurs, tremblant de le voir proposer la
révision de la Constitutionet la suppression du Sénat,
se mettaient à plat ventre devant lui.
Les ministres, le voyant maître du Parlement, se
réduisaient de bonne grâce au rôle de marionnettes
dont il tenait les fils.
Tous les fonctionnaires, magistrats, employés
quelconques, tenant par n'importe quel lien au gou-
vernement, tremblaient au moindre froncement de
sourcils de ce Jupiter olympien.
Et la vile multitude des contribuables, respectant
béatement tout ce qui émarge au budget, emboîtait
servilement le pas à celte tourbe de dessus de ronds
de cuir.
Châtiment des irréguliers
Et malheur à qui tentait d'avoir l'audace grande
de vouloir marcher en dehors des sentiers battus par
le maître et ses valets.
Toutes les paperasses administratives partaient en
guerre contre ces téméraires.
C'est à grands coups de petites et impitoyables tra-
casseries qu'on procédait contre eux.
Autant que possible, on protégeait leurs concur-
rents, pour tenter de les faire crever de faim, s'ils
étaient dans le commerce.
Journalistes, on leur donnait nulle annonce judi-
ciaire, nulle des réclames financières dont dispose tou-
jours un ministre des finances jouissant d'un budget
d'un milliard et demi.
Caricaturistes, on chargeait l'ancien magistrat
Cazelles de couper impitoyablement leurs plus
inoffensifs dessins, comme celui du Grelot de cette
semaine, qui représentait simplement Gambetta
sortant de l'Elysée en emportant une veste.
Par la magistrature... mais chut ! il nous est inter-
dit de même soupçonner d'imperfection l'impar-
tialité et l'impeccabilité de la magistrature que les
Sioux nous envient.
Quelqu'un faisait-il une opposition dangereuse et
menaçante ?
Un Reinach quelconque lui jetait aussitôt dans les
jambes un de ces bons petits papiers, dont Cyprien
Girerd est loin d'avoir le monopole.
Fallait-il pousser plus loin l'arbitraire ?
Andrieux était capable, au besoin, de faire arrêter
n'importe qui, sous prétexte que ce pouvait parfaite-
ment être l'assassin de la rue Blondel. Au bout de six
mois de prison préventive, jugement dans lequel le
président jouerait à son tour des petits papiers. Puis
acquittement avec conseil sévère d'avoir à ne pas
recommencer.
Au besoin même, d'adroits limiers insinuaient au
fâcheux de se déguiser en femme pour aller à un bal
masqué. Des agents de la police des mœurs l'embal-
laient avec la désinvolture usitée en semblable cir-
constance, et on le gardait ensuite à perpétuité à
Saint-Lazare, arguant de son énergique refus de se
laisser visiter au spéculum.
L'assassin
De telles abominations appelaient un châtiment
prompt autant qu'impitoyable.
Pour cela, il fallait qu'un héros se dévouât.
Ce héros se trouva rapidement.
Son nom ?
Eh! pouvez-vous ignorer le nom de ce sublime
meurtrier, qui a déjà tué Badinguet, père et fils,
Guillaume, Bismarck, Trépoff, Mourawieff et tant
d'autres oppresseurs de notre pauvre humanité ?
Louise Michel, parbleu !
Le crime.
Il n'est pas encore commis, et si nous en parlons
dès maintenant, c'est afin de prendre sur les cane-
tons quotidiens l'avance que nous retire souvent
notre mode de publicité hebdomadaire et que nous
méritons tant, grâce à notre sûreté et notre promp-
titude d'informations.
Du reste, il ne tardera pas à être consommé.
Maintenant quelles armes emploeira l'amère Mi-
chel?
Usera-t-elle du poignard ou du poison ?
Jouera-t-elle de la bombe Orsini ou du revolver
Smith et Wesson?
Recourra-t-elle à la séduction de Trompette au-
quel elle glissera des côtelettes trichinées, infailli-
bles, meurtrières, ou, usant du stratagème usité
jadis par l'avocat Féron, ira-t-elle chercher le mal
qui fit la fortune de Ricord pour le communiquer
ensuite au Lovelace séduit par ses charmes ?
On comprend notre discrétion à cet égard. Nous
sommes absolument renseignés, mais la plus petite
divulgation de notre part, arrêterait l'action de la
vengeresse.
Nousnous taisons donc, laissant, comme M. Prud'-
homme, la parole aux événements.