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JOURNAL DES BEAUX-ARTS.
La somme de 18,000 fr. demandée à
ce sujet, nous parait insuffisante, d'au-
tant plus qu'il s'agit d'encourager avec
cela la littérature dramatique française
et flamande et la musique! Nous croyons
cependant que cet encouragement dirigé
avec intelligence, peut conduire à de
bons résultats; si ces derniers arri-
vaient à prendre des proportions re-
marquables, on comprend que, non-seu-
lement les mesures prises aujourd'hui
seraient justifiées, mais la justification
de nouvelles mesures plus généreuses
jaillirait d'elle-même de la situation.
Avant de quitter ce chapitre, remar-
quons que le rapport de M. le 3Iinistre
de l'Intérieur, à l'appui de sa demande,
renferme une phrase contre la pensée
de laquelle nous protestons : « Il n'y a
» point d'école belge, en musique, com-
« me il y a une école italienne, une
» école allemande, une école française »
est-il dit dans le rapport; or, cela est
inexact; nous avons une école de musi-
que qui n'est pas si brillante que l'école
italienne, si poétique que l'école alle-
mande , si spirituelle que l'école fran-
çaise , mais dont l'élément caractéris-
tique est la science. On trouvera la
preuve de ce que nous avançons dans
les œuvres couronnées de nos lauréats,
dans les opéras de nos compositeurs
joués en France et en Belgique, dans
les nombreuses messes que l'on exé-
cute journellement aux jubés de nos
cathédrales, dans les cantates, dans ces
compositions éphémères enfin où l'on
rencontre plus de travail et de science
que d'inspiration réelle.
Une somme de 50,000 fr. est réclamée
pour l'encouragement de la peinture
murale , bien entendu que le Gouverne-
ment stipule le concours des communes
et des établissements, intéressés, ce
qui portera le chiffre de l'encourage-
ment réel à un taux considérable.
Nous avons entendu exprimer à ce
propos une crainte sans aucun fonde-
ment ; on croit que le Gouvernement
n'entend et ne veut encourager que la
peinture murale qui prend partout en
Europe un si vaste développement, et
cela au préjudice des autres genres de
peinture. C'est là une erreur qu'il im-
porte de rectifier en faisant observer
que le budget ordinaire des Beaux-Arts
est encore là tout entier et que les som-
mes qu'on lui prenait pour parer aux
dépenses des peintures murales, seront
maintenant allouées sur le crédit solli-
cite''; de sorte que, en réalité, l'alloca-
tion ordinaire s'augmentera, en faveur
des autres genres de peinture, de tout
ce qu'on aurait dû lui demander pour
la peinture monumentale. Voilà quant
au côté matériel de la question. Quant
au côté moral, c'est au Gouvernement
à y répondre et nous sommes assez
sûrs de la pensée qui inspire l'adminis-
tration des Beaux-Arts pour n'avoir
rien à craindre à cet égard. Disons ce-
pendant que la prochaine création d'un
musée moderne est déjà une réponse
satisfaisante à opposer aux pessimistes.
Ce crédit de 30,000 francs est des-
tiné à nous retirer, nous, école belge,
héritière de la vieille école flamande, de
l'état d'infériorité où nous nous trou-
vons vis à vis de la France et de l'Alle-
magne, pour la peinture monumentale.
Où sont nos pages populaires? Où sont
nos poèmes utilitaires? Où sont nos lé-
gendes? Où est, en un mot, le génie
de la nation artistique? Nous avons des
artistes, mais nous n'avons pas d'oeu-
vres; tout va à l'étranger, sans profit
moral pour nous, et cela est tellement
vrai qu'à l'heure qu'il est, il y a des pein-
tures belges partout excepté en Belgique.
Or, s'il est vrai de dire qu'au point
de vue de l'économie domestique l'art
doit faire la fortune et la richesse de
l'artiste, il est encore plus vrai de dire,
qu'au point de vue de l'économie so-
ciale l'art doit d'abord profiter à la
nation. Il doit lui donner la lettre des
grandes lois divines qui régissent l'hu-
manité, il doit être le tuteur moral du
peuple, il doit être son initiateur, son
ami, son frère. Ainsi l'a-t-on compris
dans l'antiquité, quand la philosophie
sto'ique traduisait ses maximes sur les
murailles des forums et des palais par
la peinture des faits qui donnent le cou-
rage ou la résignation; ainsi l'a-t-on
compris au moyen-âge quand le peuple
allait épcler l'évangile dans les livres
peints à sa taille; ainsi l'a-t-on fait,
dans les temps modernes, en Italie, en
France, en Allemagne.
Seule la Belgique est restée en arrière
alors que son passé lui montrait dans ses
vieilles Eglises, dans ses vieilles salles
d'armes, dans ses antiques boucheries,
dans ses vieilles maisons communales,
dans ses hôpitaux, ses écoles, sur les
pignons, dans les rues, partout enfin,
qu'antrefois l'art flamand souriait au
peuple, rafraîchissait sa misère, conso-
lait et soutenait son âme tandis qu'au-
jourd'hui, avouons-le courageusement,
l'art belge ne sourit qu'aux riches.
C'est donc un retour efficace à de sai-
nes et fortes idées que l'administration
des Beaux-Arts projette noblement en
demandant un crédit qui lui permette
de mettre l'art à la portée de la nation.
Puisse-t-elle réussir; puissent les man-
dataires du peuple lui donner ce nou-
veau gage de sollicitude et d'affection.
EXPOSITION D'AQUABELLES.
Si cette exposition qui est la troi-
sième qu'organise la société belge des
aquarellistes, ne brille point par la
quantité, on est en droit de dire que
jamais réunion d'œuvres de l'espèce n'a
présenté une collection plus complète
et plus heureuse sous le rapport de la
qualité. Le compte-rendu rapide que
nous allons esquisser aura donc une
certaine monotonie, celle de l'éloge,
dont le lecteur devra faire remonter la
cause à d'autres qu'à nous.
La dernière étude de Gèricault, de Bil-
loin , se fait remarquer "par un dessin
correct, étudié et surtout par une vi-
goureuse harmonie de couleur; l'inté-
rieur de l'Eglise d'Edam, de Bosboom,
est un chef-d'œuvre par la finesse de
ton, le charme et le mystère qu'il a su
y répandre ; les vues de Suisse, de Cala-
me , d'un aspect magistral et grandiose,
très beaux, très poétiques, ont cepen-
dant un ton sombre qui leur donne une
certaine lourdeur; les fleurs de Charette
sont jolies et d'une fraîcheur printa-
nière; les marines de Clays dénotent
chez cet artiste un remarquable progrès
dans l'aquarelle ; son coup de vent est
d'un ton très juste, l'Escaut le soir, à
Anvers, est d'un caractère poétique des
plus heureux, nous aimons moins la côte
de Portugal, très hardie mais un peu
jaune ; le tableau de Cimahue, de Craev-
vanger, est un immense dessin qui ren-
ferme des parties très remarquables
mais fjui produit peu d'effet. Nous de-
vons y signaler des fautes de perspec-
tive regrettables; les sujets choisis par
JOURNAL DES BEAUX-ARTS.
La somme de 18,000 fr. demandée à
ce sujet, nous parait insuffisante, d'au-
tant plus qu'il s'agit d'encourager avec
cela la littérature dramatique française
et flamande et la musique! Nous croyons
cependant que cet encouragement dirigé
avec intelligence, peut conduire à de
bons résultats; si ces derniers arri-
vaient à prendre des proportions re-
marquables, on comprend que, non-seu-
lement les mesures prises aujourd'hui
seraient justifiées, mais la justification
de nouvelles mesures plus généreuses
jaillirait d'elle-même de la situation.
Avant de quitter ce chapitre, remar-
quons que le rapport de M. le 3Iinistre
de l'Intérieur, à l'appui de sa demande,
renferme une phrase contre la pensée
de laquelle nous protestons : « Il n'y a
» point d'école belge, en musique, com-
« me il y a une école italienne, une
» école allemande, une école française »
est-il dit dans le rapport; or, cela est
inexact; nous avons une école de musi-
que qui n'est pas si brillante que l'école
italienne, si poétique que l'école alle-
mande , si spirituelle que l'école fran-
çaise , mais dont l'élément caractéris-
tique est la science. On trouvera la
preuve de ce que nous avançons dans
les œuvres couronnées de nos lauréats,
dans les opéras de nos compositeurs
joués en France et en Belgique, dans
les nombreuses messes que l'on exé-
cute journellement aux jubés de nos
cathédrales, dans les cantates, dans ces
compositions éphémères enfin où l'on
rencontre plus de travail et de science
que d'inspiration réelle.
Une somme de 50,000 fr. est réclamée
pour l'encouragement de la peinture
murale , bien entendu que le Gouverne-
ment stipule le concours des communes
et des établissements, intéressés, ce
qui portera le chiffre de l'encourage-
ment réel à un taux considérable.
Nous avons entendu exprimer à ce
propos une crainte sans aucun fonde-
ment ; on croit que le Gouvernement
n'entend et ne veut encourager que la
peinture murale qui prend partout en
Europe un si vaste développement, et
cela au préjudice des autres genres de
peinture. C'est là une erreur qu'il im-
porte de rectifier en faisant observer
que le budget ordinaire des Beaux-Arts
est encore là tout entier et que les som-
mes qu'on lui prenait pour parer aux
dépenses des peintures murales, seront
maintenant allouées sur le crédit solli-
cite''; de sorte que, en réalité, l'alloca-
tion ordinaire s'augmentera, en faveur
des autres genres de peinture, de tout
ce qu'on aurait dû lui demander pour
la peinture monumentale. Voilà quant
au côté matériel de la question. Quant
au côté moral, c'est au Gouvernement
à y répondre et nous sommes assez
sûrs de la pensée qui inspire l'adminis-
tration des Beaux-Arts pour n'avoir
rien à craindre à cet égard. Disons ce-
pendant que la prochaine création d'un
musée moderne est déjà une réponse
satisfaisante à opposer aux pessimistes.
Ce crédit de 30,000 francs est des-
tiné à nous retirer, nous, école belge,
héritière de la vieille école flamande, de
l'état d'infériorité où nous nous trou-
vons vis à vis de la France et de l'Alle-
magne, pour la peinture monumentale.
Où sont nos pages populaires? Où sont
nos poèmes utilitaires? Où sont nos lé-
gendes? Où est, en un mot, le génie
de la nation artistique? Nous avons des
artistes, mais nous n'avons pas d'oeu-
vres; tout va à l'étranger, sans profit
moral pour nous, et cela est tellement
vrai qu'à l'heure qu'il est, il y a des pein-
tures belges partout excepté en Belgique.
Or, s'il est vrai de dire qu'au point
de vue de l'économie domestique l'art
doit faire la fortune et la richesse de
l'artiste, il est encore plus vrai de dire,
qu'au point de vue de l'économie so-
ciale l'art doit d'abord profiter à la
nation. Il doit lui donner la lettre des
grandes lois divines qui régissent l'hu-
manité, il doit être le tuteur moral du
peuple, il doit être son initiateur, son
ami, son frère. Ainsi l'a-t-on compris
dans l'antiquité, quand la philosophie
sto'ique traduisait ses maximes sur les
murailles des forums et des palais par
la peinture des faits qui donnent le cou-
rage ou la résignation; ainsi l'a-t-on
compris au moyen-âge quand le peuple
allait épcler l'évangile dans les livres
peints à sa taille; ainsi l'a-t-on fait,
dans les temps modernes, en Italie, en
France, en Allemagne.
Seule la Belgique est restée en arrière
alors que son passé lui montrait dans ses
vieilles Eglises, dans ses vieilles salles
d'armes, dans ses antiques boucheries,
dans ses vieilles maisons communales,
dans ses hôpitaux, ses écoles, sur les
pignons, dans les rues, partout enfin,
qu'antrefois l'art flamand souriait au
peuple, rafraîchissait sa misère, conso-
lait et soutenait son âme tandis qu'au-
jourd'hui, avouons-le courageusement,
l'art belge ne sourit qu'aux riches.
C'est donc un retour efficace à de sai-
nes et fortes idées que l'administration
des Beaux-Arts projette noblement en
demandant un crédit qui lui permette
de mettre l'art à la portée de la nation.
Puisse-t-elle réussir; puissent les man-
dataires du peuple lui donner ce nou-
veau gage de sollicitude et d'affection.
EXPOSITION D'AQUABELLES.
Si cette exposition qui est la troi-
sième qu'organise la société belge des
aquarellistes, ne brille point par la
quantité, on est en droit de dire que
jamais réunion d'œuvres de l'espèce n'a
présenté une collection plus complète
et plus heureuse sous le rapport de la
qualité. Le compte-rendu rapide que
nous allons esquisser aura donc une
certaine monotonie, celle de l'éloge,
dont le lecteur devra faire remonter la
cause à d'autres qu'à nous.
La dernière étude de Gèricault, de Bil-
loin , se fait remarquer "par un dessin
correct, étudié et surtout par une vi-
goureuse harmonie de couleur; l'inté-
rieur de l'Eglise d'Edam, de Bosboom,
est un chef-d'œuvre par la finesse de
ton, le charme et le mystère qu'il a su
y répandre ; les vues de Suisse, de Cala-
me , d'un aspect magistral et grandiose,
très beaux, très poétiques, ont cepen-
dant un ton sombre qui leur donne une
certaine lourdeur; les fleurs de Charette
sont jolies et d'une fraîcheur printa-
nière; les marines de Clays dénotent
chez cet artiste un remarquable progrès
dans l'aquarelle ; son coup de vent est
d'un ton très juste, l'Escaut le soir, à
Anvers, est d'un caractère poétique des
plus heureux, nous aimons moins la côte
de Portugal, très hardie mais un peu
jaune ; le tableau de Cimahue, de Craev-
vanger, est un immense dessin qui ren-
ferme des parties très remarquables
mais fjui produit peu d'effet. Nous de-
vons y signaler des fautes de perspec-
tive regrettables; les sujets choisis par